1748-10-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Ouy respectable et divin amy, ouy âme charmante il faudroit que je partisse tout à l'heure mais pour venir vous embrasser et vous remercier.
Je suis icy assez malade, et très nécessaire aux afaires de madame du Chastelet. Voicy ce que j'ay fait sur votre lettre.

J'étois dans ma chambre malingre, et j'ay fait dire au roy de Pologne que je le supliois de permettre que j'eusse l'honneur de luy parler en particulier. Il est monté sur le champ chez moy. Il permet que j'écrive à la reine sa fille une lettre. Elle est faitte et il la trouve très touchante. Il en écrit une très forte, et il se charge de la mienne. Ce n'est pas tout, j'écris à madame de Pompadour et je luy fais parler par mr de Montmartel.

J'écris à madame Daiguillon et j'offre une chandelle à mr de Maurepas. J'intéresse la piété de la duchesse de Villars, la bonté de madame de Luines, la facilité bienfaisante du président Henaut que je vous prie d'encourager, je presse mr le duc de Fleuri, je représente fortement et sans me commettre à M. le duc de Gevres, des raisons sans réplique, et je ne crains pas qu'il montre ma lettre qu'il montrera. Je me sers de touttes les raisons, de tous les motifs, et je mets surtout ma confiance en vous. Je suis bien sûr que vous échauferez mr le duc d'Aumont, qu'il ne soufrira pas que les scandales qu'il a réprimez pendant six ans se renouvellent contre moy, et qu'il soutiendra son autorité dans une cause si juste, qu'il engagera mr le duc de Fleury à ne pas abandonner la sienne, et à ne pas soufrir l'avilissement des baux arts et d'un officier du roy dans l'afront qu'on veut faire à un ouvrage honoré des bienfaits du roy même.

Mes anges engagez m. l'abbé de Berni à ne pas abandonner son confrère, à ne pas soufrir un oprobre qui avilit l'académie, à écrire fortement de son côté à madame de Pompadour. C'est ce que j'espère de son cœur et de son esprit et ma reconnaissance sera aussi longue que ma vie. Aureste je pense que peutêtre une des meilleures réponses que je puisse employer est dans les amples corrections que je vous envoye pour Semiramis. J'en ay fait faire une copie générale pour mademoiselle Dumenil qu'elle donnera à Minet et une copie particulière pour chaque acteur. Si vous êtes content vous et votre aréopage, je me flatte que vous ajouterez à toutes vos bontez celle d'envoyer le paquet à melle Duménil à Fontainebleau. J'attens votre arrest.

A L'égard de l'histoire de ma vie dont on me menace en Hollande, je vais faire les démarches nécessaires. Je ne laisse pas d'avoir des amis auprès du stathouder, mais si je ne réussis pas, je mettray ces deux beaux volumes à côté de Fretillon; et la canaille ne troublera pas mon bonheur. Des amis tels que vous sont une belle consolation. Le bénéfice l'emporte sur les charges. Mon cher ange cultivons les lettres jusqu'au tombeau, méritons l'envie et méprisons la, en faisant pourtant ce qu'il faut pour la réprimer. Adieu maison charmante où habitent la vertu, l'esprit et la bonté du cœur. Adieu vous tous qui soupez. Moy qui dîne je suis bien indigne de vous. Ah monsieur de Pondeveile oubliez vous mes moyeux?

O anges j'ajoute que je ne doute pas que M. le duc Daumont ne soit indigné qu'on vilipende un ouvrage que j'ay donné pour luy comme pour vous, que j'ay fait pour luy, pour le roy et dans la sécurité d'être à l'abry de L'infâme parodie. Il faut qu'il combatte comme un lyon et qu'il l'emporte. Représentez luy tout cela avec cette éloquence persuasive que vous avez.

J'ay écrit à M. Berrier. Madame du Chastellet doit vous écrire. Elle vous fait les plus tendres complimens.

Comme notre cour est un peu voiageuse je vous prie d'adresser vos ordres à la cour du roy de Pologne en Lorraine. On ne laissera pas de la trouver.