1748-08-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Me voicy à Lunéville ma chère enfant.
J'espère toujours vous embrasser les premiers jours de septembre si notre ombre n'est pas siflée. Je raisoneray avec vous sur votre citadelle de Lile, et je seray au désespoir de vous voir quitter Paris, mais je vous donnerai la main pour monter en carosse, et je signeray votre contract avec la plus grande résignation et la plus vive douleur. Que ne pui-je passer avec vous le reste de ma vie dans la plus vilaine citadelle du royaume à Perpignan, ou à notre dame de la garde? Je préférerois ce séjour à celuy de la cour la plus brillante. Ma santé me désespère. Mais L'idée de vous perdre m'anéantit. Je n'ay guères le courage de vous parler de Semiramis. Mais puisque vous L'aimez je m'y intéresse. Le crêpe noir est ridicule. Il faut un habit guerrier tout blanc, une cuirasse bronzée, une couronne d'or, un sceptre d'or, et un masque tout blanc comme dans la statue du festin de Pierre. Je vous prie de communiquer cette idée, et de ne pas permettre que L'ombre porte le deuil d'elle même.

Mais comment m'habillerai-je moy? Je suis plus ombre que Ninus. Mon état va de mal en pis. Pourquoy ne pas achever le reste de ma vie auprès de vous? Adieu, je vous embrasse mille fois.

V.