à Lunéville 15 aoust [1748]
Soufrirez vous mon ange gardien qu'on habille notre ombre de noir et qu'on luy donne un crêpe comme Dans le double veuvage? Mon idée à moy, c'est qu'elle soit toutte blanche, portant cuirasse dorée, sceptre à la main et couronne en tête. En fait d'ombre il m'en faut croire, car j'ay l'honneur de l'être un peu, et je le suis plus que jamais. Je me flatte que madame Dargental ne l'est pas et qu'elle a raporté des eaux cette santé brillante ou dumoins cet air de santé que je luy ay connu. Nous voicy actuellement à Luneville. Je pouray bien venir vous faire ma cour à tout deux et vous remercier si vous faites la fortune de Semiramis. J'avois envoyé à M. l'abbé de Chauvelin quelques petits changemens pour le troisième acte. Peutêtre sont ils inutiles. Je le prie de vous les montrer et vous en déciderez.
J'avois avant mon départ donné aussi quelques changements à la Noue. C'est au second acte.
Je la vis captiver et le peuple et l'armée.Le grand art d'imposer même à la renoméeFut l'art qui l'affermit malgré tous mes desseinsAussi bien qu'en son rang dans l'esprit des humains,Mais j'ay vu s'affaiblir cette grandeur suprême,Semiramis n'est plus que L'ombre d'ellemêmeUn vain remords la trouble etc.
Je me flatte qu'il aura daigné aprendre ce petit changement qui acourcit son récit, et qu'il l'aura fait porter sur la pièce. Pardon si j'abuse à ce point de vos bontez mais c'est votre faute. Il y a longtemps que vous m'y avez acoutumé.
S'il y a quelque chose à refaire, et s'il est encor temps vous n'avez qu'à dire. Je suis tout prest. Adieu mon cher et respectable amy. M. de Pondeveile est il à Paris? Madame du Chastellet vous fait à tout deux les plus tendres compliments.
V.