1748-09-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher et respectable amy je suis dans la convalescence, et vous m'aprenez que Semiramis est en bonne santé.
Je vous en remercie. Elle doit cette santé là au régime où vous l'avez mis. Je suis fait pour avoir obligation à Mrs Chauvelins, l'un contribue au succez de la pièce telle qu'elle est, L'autre se donne la torture pour imaginer de nouvaux moyens de la rendre plus digne de son succez. Si le maréchal de camp avoit été à Paris il vous aurait bien secondez.

Je suis très inquiet de ce que le petit Praut n'est pas venu chez vous. Il s'étoit empressé la veille de mon départ de m'aporter des billets, des écrits, des marchez. Je l'avois renvoyé à vous. J'ay tout lieu de craindre que depuis il ne luy soit tombé entre les mains quelque mauvaise copie de la pièce, et qu'il ne me joue le tour qu'il m'a déjà joué pour L'impression de Mahomet qu'il débita clandestinement, sur une copie très informe. Il faut se défier de tous les libraires, et en particulier de celuy là. Je vous demande instamment en grâce de L'envoyer chercher, et de luy proposer la pièce comme prête à être imprimée et baucoup corrigée. Cela le tiendra en haleine. Il est absolument nécessaire que le bruit se répande qu'on L'imprime avec privilège. Cela seul peut prévenir les éditions subreptices, et sans ce préalable toutte la volonté et toutte la bonté de Mr Berrier ne pouroient prévenir l'avidité d'un imprimeur. Vous avez protégé les représentations, sauvez nous de L'impression. Parlez à Praut je vous en conjure.

A l'égard de l'idée d'abandonner la pièce aux comédiens, ne pensez vous pas qu'il vaut mieux faire de petits présents aux principaux acteurs dont on est content, que de donner la pièce à une foule de plats comédiens qui sont aussi ingrats que mauvais acteurs? Dailleurs ne doi-je pas me réserver Le droit de la faire reprendre l'hiver? J'auray eu le temps de la rendre meilleure. Les Sloth veulent bien racomoder leurs décorations. Il ne seroit peut être pas malaisé de donner à Semiramis une nouvelle vie, surtout en cas qu'il arrivast un malheur à Catilina. Mais un point important est d'empêcher les maudittes éditions en tenant Praut en haleine. Je me recommande entièrement à mes chers anges, ils ne diront pas, curavimus Babylonem et non est sanata derelinquamus eam.

Mille tendres respects à toute la maison, à tout ce qui entre, à tout ce qui en sort.

V.