1747-08-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Moy être fâché contre Vous? je ne peux l'être que contre moy qui ne vois rien du tout de ce que vous voulez que je voye. Mais exigez vous une foy aveugle? elle est impossible, commencez par me convaincre.

Adine me paroit intéressante autant que neuve, et huit vers seulement répandus àpropos dans son rôle en augmentent l'intérest. Son voiage, son amour sont fondez; et la curiosité me paroit excitée depuis le commencement jusqu'à la fin.

Darmin est lié tellement au sujet que c'est luy qui amène Adine, luy qui l'engage à parler, luy qui fait un contraste perpétuel, loy qui est soupçonné par Francbord de vouloir calomnier Dorfise; luy enfin à qui la mondaine est fidèle, tandis que la prude trompe.

Me Burlet est encor plus nécessaire; puisque c'est sur elle que roule L'intrigue; et que c'est elle qui est accusée d'aimer Adine, et j'avoue qu'il est bien étrange qu'une chose aussi claire ne vous ait pas frappé. Tout ce qu'elle dit d'ailleurs me semble écrit avec soin, et la morale m'y paroit naitre toujours de la guaité. Si j'osois je trouverois baucoup d'art dans ce caractère.

La prude est une femme qui est encor plus faible que fourbe. Elle en est plus plaisante et moins odieuse. Je ne conçois pas comment vous trouvez qu'elle manque d'art. Elle n'en a que trop en faisant acroire qu'elle doit épouser le chevalier, et en mettant par là Franbord dans la nécessité de penser qu'on la calomnie. Ce tour d'adresse doit nécessairement opérer sa justification dans l'esprit de Franbord, et quand elle sera partie avec le jeune homme dont elle se croit aimée, elle ne doit plus se soucier de rien.

Pouvez vous trouver quelque obscurité dans une chose qu'elle explique si clairement? Enfin je ne peux m'empêcher de voir précisément tout le contraire de ce que vous apercevez, et si les friponeries de la prude ne révoltent pas, (ce qui est le gr. point) je pense être sûr d'un très grand succez. Tout le monde convient que la lecture tient l'auditeur en haleine sans qu'il y ait un instant de langueur. J'espère que le téâtre y mettra toute la chaleur nécessaire et qu'il y aura infiniment de comique si la pièce est bien jouée. Plaignez ma folie, mais ne vous y opposez pas. Et ne dites pas mon cher ange curavimus Babilonem et non est sanata derelinquamus eam.

Mille tendres respects à l'autre ange.

V.