1749-09-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Il y a bien longtemps qu'on me fait attendre le décret céleste, je ne sçais encor ce que je dois penser de Rome Sauvée.
J'attends vos ordres pour avoir une opinion.

Madame du Chastelet n'est point encore acouchée, mais Fulvie l'est. Je luy ay donné un enfant tout venu aulieu de la présenter avec un gros ventre qui ne seroit qu'un sujet de plaisanterie pour nos petits maitres. J'ay aussi raboté quelques vers.

En attendant je vous envoye Nanine telle que vous avez voulu qu'elle fût. Vous trouverez des sinets à chaque endroit où vous avez ordonné des corrections. Je suis à l'ébauche du cinquième acte d'Electre et d'Electre sans amour. Je tâche d'en faire une pièce dans le goust de Merope. Mais j'espère qu'elle sera d'un tragique supérieur. Je peux perdre mon temps, mais vous m'avouerez que je l'employe.

Mr de Curi m'a écrit qu'on avoit ordonné un beau tombau pour très haut et très puissant prince Ninus roy d'Assirie. Détachez je vous en prie Mr de Bachaumont aux srs Sloth. Sloth, signifie paresseux en anglais. Il mande aussi qu'on jouera Nanine à Fontainebleau. Je ne serai pas fâché que madame de Pompadour la voye. Je vous prie de donner la pièce à melle Gossin qui fera transcrire par Minet les changements qui sont d'une trop petite écriture et qui aura la bonté de les faire porter sur les rôles. Quand je songe à touttes les peines que je donne à mes anges, je suis épouvanté.

Adieu consolation de ma vie.