1765-09-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mes divins anges tout le monde croit que j'ay bien du crédit dans votre cour céleste.
Tout le monde demande la place de Montperoux, tout le monde s'adresse à moy. Madame de la Chevalerie, sœur de monsieur de Chabanon que vous protégez, veut obtenir la résidence de Geneve pour son mari qui est officier et qui a la croix de st Louis. Elle m'a ordonné de vous en écrire, et j'obéis à ses ordres. Je suis persuadé que monsieur de Chabanon vous en aura déjà parlé, mais je suis persuadé aussi qu'il luy sera plus aisé de faire une bonne pièce que d'obtenir pour son beaufrère cette place que vous m'avez dit être destinée à ceux qui ont servi dans les affaires étrangères.

Pour moy je me borne à obtenir une copie de L'Adelaide que vous avez fait jouer. Je voudrais surtout savoir si le duc de Nemours est reconu rival de son frère au troisième ou au quatrième acte. Voylà les intérêts politiques qui m'occupent. Je vous écris en sortant de Mérope qu'on a exécutée sur mon petit téâtre de marionetes au grand étonnement des Allobroges. Figurez vous qu'il n'y avait rien chez vous de si brillant. Car madame de Shouvalow avait prêté à ma nièce Denis pour deux cent mille écus de diamants, et à peu près autant à madame de Florian mon autre nièce pour jouer la baronne dans Nanine. Ce qui est encor plus étonant c'est que mr de Shouvalow jouait Egiste dans Merope. Je ne m'attendais pas quand je fis cette pièce que je la verrais exécutée par des Russes près du lac de Geneve. Ce monde cy est une plaisante pièce de théâtre, et mrs du clergé qui me mêlent dans leurs caquets sont de plaisants comédiens.

Respect et tendresse.

V.