à Cirey en félicité par Bar sur Aube ce 24 avril 1744
Je vous envoye, mes anges tutélaires, un énorme paquet par la voye de Mr de la Reiniere.
Dans ce paquet vous trouverez le premier acte, et le premier divertissement, qui doit faire baîller mr le dauphin, et madame la dauphine, mais qui poura vous amuser, car il plaît à madame du Chastelet et vous êtes dignes de penser comme elles. Quand vous aurez tant fait que de lire ce premier acte, je vous prie de le cacheter avec la lettre cy jointe pour m. le duc de Richelieu, et de faire mettre le tout à la poste. Mais la prière la plus essentielle que je vous fais, c'est de me faire des critiques. Vous pensez bien que j'en garde un exemplaire par devers moy, ainsi vous n'aurez seulement qu'à marquer sur un petit papier ce que vous désaprouverez. Il se poura bien faire que vous receviez aussi par la même poste, le divertissement du second acte. On le copie actuellement, et il y a aparence que vous aurez encor ce petit fardeau.
J'ay mis aussi dans le paquet un cinquième acte de Pandore avec une lettre pour l'abbé de Voisenon qui demeure rue Culture ou Couture ste Catherine et je vous demande les mêmes bontez pour ce paquet que pour celuy qui est destiné à M. le duc de Richelieu. A l'égard de la pastorale qui sert de divertissement au second acte de la fête dauphine, vous pouvez le garder; Mr de Rich. en a déjà un exemplaire. Vous verrez mes chers anges que si j'ay perdu mon temps à Cirey, ce n'est pas à ne rien faire. Aussi j'ay fait graver sur la porte de ma galerie
Cela veut dire que votre amie est presque toujours dans la gallerie.
Ne vous lassez point de moy, mes anges, armez vous de courage, car dès que j'auray fini L'ambigu du dauphin, je vous sers d'une fausse prude, revue et corrigée, qu'il faudra bien que vous aimiez. Quoy, faudra t'il que l'opéra soit toujours fade, et la comédie toujours larmoyante? et l'histoire un cahos de faits mal digérez, une gasette de marches et de contremarches? Je veux mettre ordre à tout cela avant de mourir. Les récompenses seront pour les autres, et le travail pour moy. Mais Cirey et votre amitié consolent de tout. Ce Cirey est un bijou, et n'a pas besoin de l'être; il n'a besoin que de vous posséder.
Je me mets toujours à l'ombre de vos ailes et vous suis tendrement attaché, à vous mes deux anges, et à Mr de Pondeveile quoy qu'il me mette moins sous ses ailes que vous. Valete.
V.
Vous aurez donc la bonté de faire cachetée les paquets à mr de Richelieu et à l'abbé de Voisenon.