1744-06-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.
Je crains bien qu'en cherchant de l'esprit et des traits,
Le bâtard de Rochebrune
Ne fatigue et n'importune
Le successeur d'Armand et les esprits bienfaits.

Il faut pourtant s'évertuer pour que les idées de votre masson ne soient pas absolument indignes de l'imagination de L'architecte. Vous voulez monseigneur un divertissement au second acte où il soit question du duc de Foix.

Figurez vous qu'à la fin du second acte, la princesse de Navarre est déjà reconue, et qu'on luy aprend que le duc de Foix avance. Aussitôt arrive un député de ce duc de Foix en présence du duc de Foix luy même qui est toujours Alamir. Ce député est suivi d'esclaves maures qu'il envoye à la princesse. Ils font une entrée, et chantent. La princesse dit qu'elle ne veut rien du duc de Foix. Il y a dans le fonds du téâtre un bassin d'eau, représenté par des toiles blanches. Les esclaves répondent qu'ils vont mourir puisqu'on les rebute et que leur maître en usera ainsi. Ils se précipitent dans l'eau, et il en renait sur le champ autant d'amours qui viennent avec des flèches et des flambeaux et qui disent àpeuprès à la dona:

De nouveaux esclaves paraissent,
Ne les rebuttez pas, c'est pour vous qu'ils renaissent.
Comme leur mère, ils sont sortis des eaux,
C'est sous vos loix qu'ils sont à craindre
Vous avez le pouvoir d'allumer leurs flambaux
Et vous n'aurez jamais celuy de les éteindre.

Cependant il s'élève au milieu de l'eau un groupe d'architecture représentant, Jupiter qui enlève Europe, Neptune qui enlève Calisto, et Pluton qui enlève Proserpine, et on chante tout ce qui peut justifier le duc de Foix par l'exemple de ces trois dieux. Alors les divertissements font place au reste de la pièce.

Voudriez vous qu'à la fin du 3, le fonds du téâtre représentât les Pirenées? L'amour leur ordoneroit de disparaitre, afin de ne faire qu'un peuple de la France et de l'Espagne et on verroit à leur place une salle de bal, où le duc de Foix danseroit avec sa dame etc.

Je chercheray tant, qu'à la fin j'aprocheray de vos idées. Encouragez moy je vous suplie. Soyez sûr que tous les divertissements seront faits avant le mois de juillet, qu'il ne faudra pas un mois à Rameau, que je travailleray la pièce avec tout le soin possible et que je n'auray rien fait en ma vie avec plus d'application. Mais encor une fois ne me jugez point sur cette misérable esquisse; et s'il y a quelques scènes qui vous plaisent, croyez que tout sera travaillé dans ce goust. Soyez sûr enfin que vous serez servi à point nommé, et que tout sera prest pour votre retour.

Madame du Chastellet regrette toujours la petite fête des bergers, et

Du sort de Polemon l'intéressante histoire.

Mais il me semble que cette nouvelle façon seroit plus suceptible de spectacle. Je vous demande toujours la permission d'envoyer à Ramau les autres divertissements. Je vous suplie de dicter vos ordres en prenant votre té, si vous prenez du té devant Menin ou dans Menin. Tâchez d'aller à Bruxelles, car on nous y dénie justice. Me du Chastelet vous aime véritablement. Je vous le dis c'est une très bonne femme. Adieu monseignr, mon cher protecteur adieu.

V.