à Cirey par Bar sur Aube ce 28 may [1744]
Vous avez dû recevoir, monseigneur de Foix, les très informes esquisses du premier et du second acte. Lisez, si vous avez du loisir, ce troisième acte, et songez je vous en suplie qu'il m'est impossible de mettre en deux mois la dernière main à un ouvrage très long, où vous voulez tout ce qui feroit la matière de plusieurs autres ouvrages. J'ay bien peur d'être avec vous comme Arlequin avec ce prince qui luy disoit fa mi ridere. Il ne put le faire rire. Cependant si le fond de cet acte, si les divertissements, si l'intérest qui y règne, si le mélange du tendre, du plaisant, des fêtes et de la comédie, ne trouvent pas grâce devant vous, si les couplets qui regardent la France et l'Espagne ne vous plaisent pas, je suis un homme perdu. Ah monseigneur le duc de Foix, monsgneur le cardinal de Richelieu, monsieur de Candale, laissez moy faire, donnez moy du temps, permettez moy ce petit feu d'artifice qui fera un dénoument délicieux. Voyez, voulez vous que j'envoye à Ramau les divertissements pendant que je travailleray le reste du spectacle à tête reposée? Car on ne fait point bien quand on fait vite. Daignez me donner vos conseils et vos ordres et soyez sûr qu'il ne me manquera que du génie. Mon cœur qui est à vos pieds suppléera comme il poura.
V.
Madame du Châtelet, qui est en vérité la meilleure femme du monde, et qui vous aime de tout son cœur, vous fait mille compliments.
Elle croit que je pouray faire quelque chose de ma petite drôlerie. Elle en trouve l'idée charmante. J'y travailleray avec l'ardeur d'un homme qui veut vous plaire.