14 juillet [1738]
La route de Paris à Pondevele est par Dijon, la route de Dijon est par Bar sur Aube, Chaumont, Langre etc.
De Bar sur Aube à Cirey il n'y que quatre lieues, et si vous ne voulez pas faire quatre lieues pour voir vos amis, vous n'êtes plus Dargental, vous n'êtes plus ange gardien, vous êtes digne d'aller en Amerique.
Ah charmant et respectable amy vous ne vous démentirez pas à ce point, et vous ne nous donnerez pas pour excuse qu'il ne faut pas aller à Cirey en passant, il faut y aller ne fût ce que pour un jour, ou pour une heure. Quoy vous faisiez dixhuit cent lieues pour quitter vos amis, et vous n'en feriez pas quatre pour les voir? Je vous avertis que si vous prenez une autre route que celle de Bar sur Aube, Chaumont, Langre, si vous passez par Auxerre, nous irons à Auxerre, nous vous ferons rougir, et nous aurons le bonheur de vous voir.
Vos réflexions sur les épîtres, et sur Merope, me paraissent fort justes, et puisque j'ay pris tant de libertez avec le marquis Maffei dans les quatre premiers actes, je pouray bien encor changer son cinquième. En ce cas la Merope m'apartiendra toutte entière.
Si on ne permet pas de se moquer des convulsions il ne sera donc plus permis de rire.
Si le public devenu plus dégoûté que délicat à force d'avoir du bon en tout genre, ne soufre pas qu'on éguaie des sujets sérieux, si le goust d'Horace et de Despreaux sont proscrits, il ne faut donc plus écrire.
Mais si vous ne venez pas à Cirey, il ne faut plus rien aimer.
Madame du Chastelet vous persuadera, et moy je ne veux point perdre l'espérance de voir mr et me Dargental et de les assurer qu'ils n'auront jamais un serviteur plus tendre, plus dévoué que V. et plus affligé de la barbare idée que vous avez de vous détourner de votre chemin pour ne nous point voir.