1739-04-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Antioch Cantemir.

Monseigneur,

J'aprends avec chagrin que L'édition des Ledet est déjà faitte.
Je leur ordonne de faire un carton concernant ce qui regarde votre illustre père, mais Les ordres des auteurs ne sont pas plus exécutez par les libraires que ceux du Divan ne le sont par Les arabes voleurs. J'ay écrit, et je vais écrire encore, mais je ne répons pas de L'autorité de mon divan. J'ay l'honneur de renvoyer à votre altesse l'histoire ottomane qu'elle a bien voulu me prêter et c'est avec regret que je la rends. J'y ay apris baucoup de choses, j'en aprendrais encore davantage dans votre conversation, car je sçai que vous êtes doctus sermones cujus cumque lingue et cujus cumque artis.

Je renvoye L'histoire ottomane par le carrosse public de Bar sur Aube qui part mercredy prochain 22 du mois; Le paquet est à votre adresse, à votre hôtel, et les registres du bureau public en sont chargez à Bar sur Aube. Si on ne l'aporte pas chez vous monseigneur vous pouvez envoyer vos ordres au bureau de Paris.

J'ay plus d'une raison de me plaindre de la précipitation de mes libraires, ils s'empressent de servir des fruits qui ne sont pas mûrs, mais de quelque mauvais goust qu'ils soient j'auray l'honneur monseigneur de vous les présenter dès que je pouray en avoir. Je sçai que vous faites naître sous vos mains les fruits et les fleurs de tous les climats, Les langues modernes et les anciennes, la philosofie et la poésie vous sont familières, votre esprit est comme l'empire de votre autocratrice qui s'étend sur des climats opposez et qui tientla moitié d'un cercle de notre globe. Parmy les français qui connaissent votre mérite, il n'y en a point monseigneur qui soit avec plus de respect que je suis,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire