1744-06-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marc Pierre de Voyer de Paulmy, comte d'Argenson.

Comment diable monsieur le duc de Foix de Richelieu a t'il pu vous faire lire une mauvaise esquisse, un croquis informe, que je ne luyay envoyé que par pure obéissance?
Il ne s'agit pas de savoir si cela est bon, mais de prévoir si on en poura tirer quelque chose de bon. Et c'est monseigneur ce que je vous demande en grâce de prévoir, si vous m'aimez. Mais comment avez vous le temps de lire cette bagatelle? Soyez béni entre tous les ministres d'aimer les beaux arts au milieu de la guerre. C'est un mérite bien rare, et qui prouve bien qu'on est au dessus de son employ. Mr de Louvois n'avoit pas ce mérite, aussi Poignan disoit de lui,

……Louvois ce ministre brutal
Renvoya d'un coup d'œil Phebus à l'hôpital.

Apropos d'hôpital je vous ay présenté un placet pour un gentilhomme champenois nommé de Riaucourt, lieutenant dans le bataillon de st Dizier, milice, dont le père, capitaine au dit bataillon, vient de crever. La veuve et sept enfans ont un procez dans votre ancienne principauté de Joinville, et quand il faut payer leur procureur, ils aportent leurs poules au marché de Joinville, et les vendent vingt sous pour payer la justice, et meurent de faim. Cependant point de réponse à mon placet.

Je vous demande en grâce de me protéger auprès du duc de Foix-Richelieu et de croire que ma petite drôlerie vaut mieux que la fichue esquisse qu'on vous a montrée. Triomphez et je vous amuseray.

Je vous suis attaché aussi tendrement que quand vous n'étiez pas ministre et non plus respectueusement.

Madedu Chastellet vous présente ses compliments.

Voltaire