1744-09-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Ayez donc la bonté mon cher et respectable amy de me renvoyer notre Princesse crayonée de votre main.
Je resteray à Champ jusqu'à mercredy en huit. Ajoutez à touttes les peines que vous daignez prendre celle de me pardonner mon impuissance. Vous ordonez que cette première scène entre le duc de Foix et sa dame soit des plus touchantes. Je ne l'ay regardée que comme une scène de préparation, qui excite la curiosité, qui laisse échaper des sentimens mais qui ne les développe point, qui irrite le désir, et qui n'entame pas la passion. Si cette scène avoit le malheur d'être passionée, la scène suivante qui me paroit bien plus piquante deviendroit très insipide. Je sacrifieray pourtant autant que je le pouray mes idées à vos ordres, je tâcheray d'échaufer encor un peu cette scène des deux amants. Mais permettez moy de ménager les teintes, et de ne pas prodiguer des sentiments qui doivent être ménagez et filez jusqu'à la fin. J'ôterai si vous voulez, le mot d'outrageuse, quoyqu'il soit dans Boylau et dans Corneille. Je regrette toujours mon illumination, mais enfin il n'y a rien que je ne vous sacrifie. Envoyez moy donc la pièce chez m. le duc de La Valiere, vis à vis un cabaret, rue de Richelieu, et je feray encor quelque oreille à mon enfant.

Pour Ramau, je crois sa tête phisiquement tournée, on dit qu'il bat sa femme, et qu'ensuitte il se met au lit pour elle. Il faudroit absolument que madame de Tensin eût la bonté d'écrire à monsieur de Richelieu, et de L'avertir du risque qu'il court s'il compte sur un tel extravagant. Pour moy je vois que le divertissement manquera si on ne prend pas des mesures de bonne heure. Madame du Chastellet vous fait mille tendres compliments à tous. Adieu, j'ay bien de l'impatience de vous faire ma cour.

V.