1744-08-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je vous suplie mes saints anges de considérer que monsieur de Richelieu auroit voulu que L'ouvrage eût été fait avant son départ, et qu'en moins de quinze jours j'ay fait deux actes et deux divertissements.
Il ne faut donc regarder tout ce que j'ay broché que comme une esquisse dessinée avec du charbon sur le mur d'une hôtellerie où on couche une nuit. Je n'ay jamais prétendu que la comédie restât comme elle est, je prétends seulement que les divertissements du premier acte demeurent. Ils me paraissent devoir faire un spectacle charmant. J'ay déjà fait tenir à mr le duc de Richelieu le second acte, mais je luy mande bien positivement que tout cela n'est qu'une ébauche. Il est triste que je luy fasse voir son souper dans la cuisine, cela peut luy ôter l'appétit. Mais il l'a voulu, et je suis à ses ordres. J'ay poussé l'obéissance jusqu'à luy envoier l'acte d'opéra qui pouvoit faire le second intermède mais au quel j'en ay déjà substitué un autre. Il faut me donner un peu de temps et je ne désespère pas d'en venir à bout. Il veut absolument du burlesque. J'ay eu baucoup de peine à obtenir qu'il n'y eût point d'Arlequin. A l'égard de Sanchette, elle n'est qu'une pierre d'attente. Il y faut mettre madame Morillo, parce qu'il faut une personne ridicule, qui occasione des méprises et des jeux de téâtre mais, je vous en prie, prêtez vous un peu plus au comique. Il est vray qu'il est hors de mode, mais ce n'est pas parce que le public n'en veut point, c'est qu'on ne peut luy en donner. Comptez que le comique qui fait rire dépend du jeu des acteurs, et ne se sent point quand on examine un ouvrage, et qu'on le discute sérieusement. Je vais retoucher ce premier acte, dont l'idée paroit toujours charmante à madame du Chastelet, et qui peut fournir un des plus agréables spectacles du monde, avec des danses et de la musique. Je vous demande en grâce d'envoyer à l'abbé de Voisenon le cinquième acte de Prometée que vous devez avoir reçu dans mon énorme paquet. A l'égard de ce qui étoit destiné à M. de Richelieu, il n'y a qu'à le brûler. Je vais le refondre, et vous aurez avant qu'il soit peu un premier acte nouvau. Je ne me rebuteray point, je travaillerai jusqu'à ce que vous soyez contents.

Madame du Chastellet vous fait les plus tendres compliments.

V.