1744-07-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Le convalescent fait partir aujourduy sous l'envelope de monsieur de la Reiniere le plus énorme paquet dont jamais vous ayez été excédé.
C'est mes anges, toutte la pièce avec les divertissements, telle à peu près que je suis capable de la faire. Je ne vous demande pas d'en être aussi contents que madame du Chastellet et m. le président Henaut, mais je vous demande de l'envoyer à M. le duc de Richelieu, et d'en paraître contents.

Je souhaiterois pour le bien de votre âme que vous voulussiez faire grâce à Sancette dont vous m'avez paru d'abord si mécontents. Tenez moy quelque compte d'avoir mis au téâtre un personnage neuf dans l'année 1744, et d'avoir dans ce personnage comique mis de l'intérest et de la sensibilité. Comment avez vous pu jamais imaginer que le bas pût se glisser dans ce rôle? comment esce que la naiveté d'une jeune personne ignorante, et à qui le nom seul de la cour tourne la tête, peut tomber dans le bas? ne voulez vous pas distinguer le bas du familier et le naif, de l'un et de l'autre?

Il n'y a de bas que les expressions populaires, et les idées du peuple grossier. Un Jodelet est en bas, par ce que c'est un valet, ou un vil bouffon à gages.

Morillo est d'une nécessité absolue. Il est le père de sa fille, une fois, et on ne peut se passer de luy. Or s'il faut qu'il paraisse, je ne vois pas qu'il puisse se montrer sous un autre caractère, à moins de faire une pièce nouvelle.

Je pouray ajouter quelques airs aux divertissements et surtout à la fin; mais dans le cours de la pièce je me vois perdu si on soufre des divertissements trop longs. Je maintiens que la pièce est intéressante et ces divertissements n'étant point des intermèdes mais étant incorporez au sujet, et faisant partie des scènes, ne doivent être que d'une longueur qui ne refroidisse pas l'intérest.

Enfin vous pouvez je croi, envoyer le tout à M. de Richelieu, et préparer son esprit à être content. S'il l'est, ne pouroit on pas alors luy faire entendre que cette musique continuellement entrelassée avec la déclamation des comédiens, est un nouvau genre pour le quel les grands échaffaudages de simphonie, ne sont point du tout propres? ne pouroit on pas luy faire entendre qu'on peut réserver Ramau pour un ouvrage tout en musique? Vous me direz ce que vous en pensez et je me conformeray à vos idées.

Que de peines vous avez avec moy! et que d'importunitez de ma part! En voicy bien d'un autre. Vous souvenez vous avec quels serments réitérez ce fripon de Praut vous promit de ne pas débiter l'infâme édition qu'il a fait faire à Trevoux? Mr Palu me mande qu'elle est publique à Lyon. Je le suplie de la faire séquestrer, mais je vous demande en grâce d'envoyer chercher ce misérable et de luy dire que ma famille est très résolue à luy faire un procez criminel, s'il ne prend pas le party de faire luy même ses diligences pour supprimer cette œuvre d'iniquité. Il a assurément grand tort, et on ne peut se conduire avec plus d'imprudence et de mauvaise foy. Je travaillois à luy procurer une édition complette et purgée de touttes les sottises qu'il a mises sur mon compte dans son indigne receuil; et c'est pendant que je travaille pour luy qu'il me joue un si vilain tour. Il ne sent pas qu'il y perd, que son édition se vendroit mieux et ne seroit point étouffée par d'autres si elle étoit bonne.

Mais presque tous les libraires sont ignorants et fripons; ils entendent leurs intérests aussi mal, qu'ils les aiment avec fureur. La mauvaise foy de Praut me fait d'autant plus de peine que je me flattois que cette même édition corrigée selon mes vues seroit celle dont je serois le plus content. Vous allez trouver ma douleur trop forte, mais vous n'êtes pas père. Pardonez aux entrailles paternelles vous qui êtes le parain et le protecteur de presque tous mes enfans; adieu mon cher et respectable amy, madame du Chastellet vous dit toujours des choses bien tendres, car commen ne vous pas aimer tendrement? Mille tendres respects à tous les anges.

V.

Permettez que le bavard dise encor un petit mot de la princesse de Navarre et du duc de Foix. Il m'est devenu important que cette drogue soit jouée, bonne ou mauvaise. Elle n'est pas faitte pour L'impression, elle produira un spectacle très brillant et très varié, elle vaut bien la princesse d'Elide et c'est tout ce qu'il faut pour le courtisan. Mais c'est aussi ce qu'il me faut, cette bagatelle est la seule ressource qui me reste, ne vous déplaise, après la démission de M. Amelot, pour obtenir quelque marque de bonté qu'on me doit pour des bagatelles d'une autre espèce dans les quelles je n'ay pas laissé de rendre service. Entrez donc un peu mon cher ange dans ma situation, et songez plutôt icy à votre amy qu'à l'auteur et au solide qu'à la réputation. Je feray pourtant de mon mieux pour ne pas perdre celle cy.

V.

Autre bavarderie. Je suis pourtant toujours pour cet arbre chargé de trophées dont les ramaux se réunissent. Esce encor ce coquin de M. LE CHEVALIER ROY qui m'a volé cette idée? Je viens de lire Nerée. Je ne sçais si je ne me trompe, mais cela ne me paroît écrit ny naturellement ny correctement, ces deux choses manquant font détestablement. J'en demande pardon à M. LE CHEVALIER.