1774-12-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

C'était donc un diable d'homme que ce Marquis de Pugatchew? et il faut que le Divan soit bien bête pour ne lui avoir pas envoié quelque argent.
Il ne savait donc pas plus écrire que Gengiskan et Tamerlan? Il y a eu même, dit-on, des gens qui ont fondé des religions sans pouvoir seulement signer leur nom. Tout celà n'est pas à l'honneur de la nature humaine. Ce qui lui fait honneur c'est vôtre magnanimité. Vôtre Majesté Imp: donne de grands exemples qui sont déjà suivis par le prince vôtre fils. Il vient de donner une pension à un jeune homme de mes amis nommé Mr de Laharpe qu'il ne connaît que par son mérite trop méconnu en France. De tels bienfaits répandus à propos enflent la bouche de la renommée et passent à la postérité.

Je crois que Vôtre Majesté qui sait lire et écrire va reprendre le bel ouvrage de sa Législation quoiqu'elle n'ait plus auprès d'elle ce pauvre Solon nommé La Riviere qui était venu vous donner des leçons, et qu'elle n'ait pas encor pour premier ministre cet avocat sans cause nommé Dumesnil qui vient enseigner la coutume de Paris à Petersbourg de la part de son parain.

Vous serez réduite à donner des loix sans le secours de ces deux grands personnages, mais je vous conjure, Madame, d'insérer dans vôtre code une loi expresse qui n'accorde la permission de baiser les mains des prêtres qu'à leurs maîtresses. Il est vrai que Jesu christ se laissa baiser les jambes par Madelaine, mais ni nos prêtres ni les vôtres n'ont rien de commun avec Jesu christ.

J'avoue qu'en Italie et en Espagne les Dames baisent la main d'un jacobin ou d'un cordelier; et que ces maraut là, prennent beaucoup de libertés avec nos femmes. Je voudrais que les Dames de Petersbourg fussent un peu plus fières. Si j'étais femme à Peterbourg, jeune et jolie, je ne baiserais que les mains de vos braves officiers qui ont fait fuir les Turcs sur terre et sur mer, et ils me baiseraient tout ce qu'ils voudraient. Jamais on ne pourait me résoudre à baiser la main d'un moine qui est souvent très malpropre. Je veux consulter sur cette grande question le parain de Mr du Mesnil.

En attendant, Madame, permettez moi de baiser la statue de Pierre le grand et le bas de la robe de Catherine plus grande. Je sais qu'elle a une main plus belle que celles de tous les prêtres de son Empire, mais je n'ose baiser que ses pieds qui sont aussi blancs que les neiges de son païs.

Je la suplie de daigner conserver un peu de bonté pour le vieux radoteur des Alpes.

V.