à Cirey ce 5 juin [1744]
Mon cher protecteur vous m'avez écrit, adorable ange, des choses pleines d'esprit, de goust, et de bon sens, aux quelles je n'ay pas répondu, parce que j'ay toujours travaillé.
Figurez vous que pendant ce temps là M. de Richelieu envoye au président Henaut, et à M. Dargenson le ministre l'informe esquisse de cet ouvrage. J'en suis très fâché, car les hommes jugent rarement si l'or est bon quand ils le voyent dans la mine tout chargé de terre et de marcassite. J'écris au président pour le prévenir. J'espère qu'avec du temps et vos conseils je pouray venir à bout de faire quelque chose de cet essay, mais je vous demande en grâce de jetter dans le feu le manuscript que vous avez. Pourquoy voulez vous garder des titres contre moy, pourquoy conserver les langes de mon enfant quand je luy donne une robe neuve?
Je conviens avec vous que le plaisant et le tendre sont difficiles à allier. Cet amalgame est le grand'œuvre. Mais enfin cela n'est pas impossible, surtout dans une fête. Moliere l'a tanté dans la princesse d'Elide, dans les amants magnifiques, T. Corneille dans l'inconnu, enfin cela est dans la nature. L'art peut donc le représenter, et l'art y a réussi admirablement dans Amphitrion. Je vous avertis d'ailleurs qu'on a voulu une Sanchette, ou Sancette; et que je la fais une enfant simple, naive, et ayant autant de coqueterie que d'ignorance. C'est du fonds de ce caractère que je prétends tirer des situations agréables.
Quand Sancette sait que Constance est princesse, elle luy dit,
Quoy vous êtes princesse et faites comme nous?……….cependant vous pleurez.CONSTANCE
De malheurs assez grands mes jours sont entourezEt des pleurs sont bien dûs à ma fortune affreuse!SANCETTE
Quoy vous êtes princesse, et n'êtes pas heureuse?On m'a dit que la cour est toujours si joyeuseQue de tous les plaisirs elle est le vray séjour.Hélas peut on pleurer quand on est de la cour?CONSTANCE
Rarement on y pleure; on dévore ses larmes.Le peu d'expérience, et la simplicitéDans un état brillant vous font trouver des charmesQui peutêtre ne sont que dans l'obscurité.La cour dont vous parlez, malheureuse et perfide,Mérite votre inimitié.Mon sort peut il être envié?Tout m'afflige, tout m'intimide,De mes malheurs encor je vous tais la moitié.On combat, et mon sang dans mes veines se glace.SANCETTE
Votre altesse me fait pitié,Mais je voudrois être à sa place.Hélas promettez moy de me rendre l'amantQui fait icy tout mon tourment.Je prens fort peu de part au succez de la guerre,Le public ne m'importe guère,J'aime et c'est tout pour moy.………………Ah que de générosité!Il faut que vous soyez une bonne princesse.Je rougis devant vous de ma rusticité.Que n'ai-je à vos genoux pu passer ma jeunesse?Je vaudrais baucoup mieux.CONSTANCE
Votre naiveteVaut au moins notre politesse.SANCETTE
Je sens ce qui me manque, et j'en ay honte enfin.Je voudrois être à vous, et je hais mon destin.Je voy que j'ay pour tout partageDe l'ignorance et de l'amour.Je voudrois l'air du monde, et son charmant usage.CONSTANCE
Sancette, l'air est à la courEt les vertus sont au village.
Il me paroit mon cher ange qu'il y a une naiveté assez touchante, et cependant un peu comique. Il ne s'agit que de placer ce comique qui ne doit jamais étouffer la tendresse, et la noble galanterie. Constance est en cela de votre avis, car au premier acte quand Leonor, demoiselle suivante, dit à la princesse,
Mais un homme ridiculeVaut peutêtre encor mieux que rien,
la princesse Constance luy répond,
Souvent dans le loisir d'une heureuse fortuneLe ridicule amuse, on se prête à ses traits,Mais il fatigue, il importuneLes cœurs infortunez et les esprits bien faits.
Il ne s'agit donc que de ne pas rendre ce ridicule fatiguant et importun.
Si quid novisti rectius istisCandidus imperti, si non, his utere mecum.