ce 29 [October 1739]
Je suis absolument de L'avis de l'ange gardien, et de ses chérubins sur le retranchement de la scène d'Atide au quatrième acte.
Non seulement cette arrivée d'Atide ressembloit en quelque chose à L'Atalide de Bajazet, mais elle me paraît peu décente et très froide dans une circomstance si terrible et à la vue du corps expirant d'un père qui doit occuper toute l'attention de la malheureuze Zulime.
Après avoir bien examiné Les autres observations, et avoir plié mon esprit à suivre les routes qu'on me propose, je les trouve absolument impraticables.
On veut que Zulime doute si son amant a assassiné son père, on veut ensuitte qu'elle puisse l'excuser sur ce qu'il l'a tué sans le savoir, et que cette idée de l'innocence de Ramire soit l'objet qui occupe principalement le cœur de Zulime.
Je crois avoir ménagé assez le peu de doutes qu'elle doit avoir; et je crois que ce seroit perdre toute la force du tragique que de vouloir rendre toujours son amant innocent. Le véritable tragique, Le comble de la terreur et de la pitié est à mon avis qu'elle aime son amant criminel et parricide. Point de belles situations sans de grands combats, point de passions vrayment intéressantes sans de grands reproches. Ceux qui conseillèrent à Pradon de ne pas rendre Phedre incestueuse, luy conseillèrent des bienséances bien malheureuses, et bien meséantes au téâtre. Ah ne me traittez pas en Pradon!
Je condamne aussi sévèrement toute assemblée de peuple. Ce n'est pas d'une vaine pompe dont il s'agit. Il faut que Zulime en mourant adore encor la cause de ses crimes et de ses malheurs; il faut qu'elle le dise et si elle étoit devant le peuple, cette affreuse confidence seroit déplacée, c'est alors que les bienséances seroient violées. J'aime la pompe du spectacle; mais j'aime mieux un vers passionné.
Voicy donc les seuls changements que mon temps, mes occupations, et mon départ me permettent. Benigno animo Legete, et publici juris in teatro fiant. Je vous suplie d'adresser vos ordres chez l'abbé Moussinot qui aura mon adresse.
Je me flatte que je vous adresseray bientôt mieux que Zulime. Permettez moy de baiser respectueusement la belle main qui a écrit les remarques auxquelles j'ai obéi en partie.
Voyez. Si vous êtes à peu près content, donnez cela à mademoiselle Quinaut quand il vous plaira; sinon donnez moy donc de nouvaux ordres; mais je sens les limites de mon esprit, je ne pouray guères aller plus loin, comme je ne peux vous aimer ny vous respecter Davantage.
Faittes je vous prie transcrire le tout avec Les corrections cy jointes. Vous n'avez qu'à ordonner à l'abbé Moussinot de vous envoyer un copiste sûr, qu'il payera. Pre toutes les petites dépenses qu'il faudra faire en quelque genre que puisse être l'abbé Moussinot est à tout instant à vos ordres. Sic ego.
V.