[1761]
J'ai relû Zulime avec beaucoup d'attention, elle m'a fait grand plaisir, mais je crois sentir qu'elle pouroit m'en faire davantage.
Je connois des personnes éclairées et sensibles à qui elle en a fait très peu; j'ai cherché la raison de cette façon de penser, je crois l'avoir trouvée.
Zulime est un édifice dont les pièces sont belles, bien faites, bien proportionées, disposées avec art, ornées d'une manière agréable, mais dont les fondements sont foibles et insufisants. On peut presque dire que c'est un bâtiment construit en l'air. Les fondements de l'ouvrage devroient être dans l'explication de l'avanture, et selon moy cette explication laisse une infinité de choses à désirer. Il y a environ 9 vers d'exposition par les quels on apprend que Benassar, Roy d'un pays (qu'on ne nomme point), se trouvoit dans la nécessité de livrer aux Numides un captif et une captive qui étoient depuis longtems entre ses mains, et que Zulime éprise d'amour pour le captif a enlevé l'un et l'autre à son père et s'est retiré avec eux dans une place qu'elle a fait soulever.
On ne sçait comment ces captifs sont tombés entre les mains de Benassar, pour quoi il les a retenu si longtems. L'un est un prince destiné à hériter du Royaume de Valence, l'autre est une princesse du même sang, cepandant personne ne s'avise de les redemander ny d'offrir la moindre rançon pour leur liberté. Ils sont jeunes, aimables, de même pays, paroissent fortement attachés l'un à l'autre. Zulime, qui a tant d'intérêt de connoitre leurs sentiments, n'a jamais pensé qu'ils pussent s'aimer. Elle est depuis longtems censée voir Ramire et l'entretenir à tout moment, elle s'en croit aimée quoiqu'il ne luy ait jamais parlé d'amour. On ignore les droits des Numides à l'égard de Benassar. Il est impossible de se persuader qu'ils soient assés étendus pour le forcer malgré sa générosité, sa bonté, sa douceur à violer le droit de nations à l'égard de captifs qu'il aime, et dont l'un luy a rendu de grands services.
Ce qui me paroissoit d'abord le plus essentiel à sonder, c'est le danger des captifs, ce danger doit se tirer d'une nécessité absolue dans la quelle se trouve Benassar de les livrer. Cette nécessité n'est pas aisée à établir, vû le caractère qu'on a donné à Benassar, et qu'on ne peut changer sans diminuer l'intérêt de la pièce. Heureusement il parle à quelqun qui a trouvé des choses infiniment plus difficiles et à qui les expédients viennent presqu'aussi facilement que les vers.
Il faudroit sonder aussi s'il étoit possible la confiance aveugle de Zulime. Il est nécessaire que ce soit Menodore qui la trompe, il faudroit donc établir que Ramire à cause de l'austérité des moeurs de l'Afrique n'a eu que très peu de conversations avec elle et qu'on ny a pas regardé de si près pour Menodore qui par son état est plus sans conséquence et qui ayant un intérêt, a cherché avec plus de soin les occasions d'entretenir Zulime. Il seroit à désirer en même tems qu'elle n'eût pas eu lieu de soupçonner l'intelligence de Ramire et d'Atide. N'auroit t'il pas pû imaginé pour la cacher de dire qu'ils sont frères et soeurs? Ce moien est peutêtre un peu petit et je ne le donne que pour ce qu'il vaut.
Je suis pour proposer un moien pour justifier un peu davantage la suite de Zulime en augmentant pourtant son tort à l'égard de son père. On pouroit supposer qu'elle auroit été promise par luy à quelque roy voisin comme le gage d'une paix, et le lien d'une amitié importante à cimenter entre deux voisins, que par sa fuitte elle a rompû un traité, forcé son père de manquer à sa parole et que par là elle l'a exposée à une guerre dangereuse. La crainte de cet hymen seroit un motif de plus pour la déterminer à la fuite et ce motif la rendroit en même tems plus coupable envers son père.
Aureste je crois que la pièce une fois fondée elle doit faire le plus grand effet sur tout le monde, étant remplie de passion, écritte avec chaleur, et conduite avec raison. Il y auroit pourtant plusieurs vers à changer, quelques endroits à fortifier qui même relativement au genre ne sont pas rendus assés fortement, en un mot des négligences dont vous vous appercevrés mieux que personne et aux quelles vous remédierés quand vous lirés l'ouvrage avec un peu d'attention. J'en ai marqué un petit nombre. Je suis sûr que vous en trouverés davantage.