1740-02-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Françoise Quinault.

J'avois eu l'honneur de répondre à votre lettre mademoiselle avant de la recevoir.
Je vous écrivis hier 16, et aujourduy 17 je reçois votre prose que je préfère à tous mes vers. Plus je tâche de rapeller dans ma mémoire les endroits que vous voulez que je corrige, et moins je peux m'en former une idée nette. Je ne me suis souvenu que de la situation du 5ème acte, et à tout hazard, voicy ce qui me vient au bout de la plume. Vous le trouverez sur un papier séparé. Si cela ne s'emboite pas bien, un petit coup de la main de vos amis aidera à le faire entrer, ou si vous voulez me faire transcrire cet endroit, peutêtre qu'en le relisant mon imagination sera plus échauffée, et fera quelque effort moins indigne de vous.

Vous avez grande raison mademoiselle d'insister sur le patétique de cette scène. Ce n'est pas assez de peindre avec vérité, il faut peindre d'une manière forte et touchante et si ce qui doit émouvoir ne porte qu'une lumière sans chaleur, Le Spectateur demeure à la glace, et s'ennuye sans avoir même le plaisir de critiquer. Souvent un ou deux vers, un hémistiche placéz àpropos, réchauffent une scène; et quand on a trouvé la pensée et le mot convenables, si on en dit plus, on énerve la situation au lieu de L'embellir. Voyez s'il y a du trop ou du trop peu dans ce que j'ay l'honeur de vous envoyer et si j'ay rencontré ce milieu que vous sentez si bien. Je suis bien loin d'écrire comme vous jugez.

J'ay déjà eu l'honeur de vous mander que Zulime ne me parait convenable qu'à melle Dumenil, et Atide qu'à melle Gossin, mais je vous renouvelle encor la protestation de la nécessité où je suis de ne point paraître. Mon nom renouvelleroit les cabales, et nuiroit à vos intérêts. Laissez moy donc made-moiselle vous servir en silence, et m'en remettre à votre prudence pour tout ce qui concerne un ouvrage qui Vous est soumis comme moy même.

Made Duch. vous fait bien ses compliments; vous connaissez les sentiments qui m'attachent à votre char pour toute ma vie.

V.

A la dernière scène, Atide ne dit elle pas à Zulime?

Vous savez à quel point je vous avois trompée,
J'ay trahi tout, bienfaits, confidence, amitié.
Ah donnez moy la mort par haine ou par pitié.

A quoy pouroit ajouter:

N'armez point cette main si chère et si sacrée
Contre un cœur qui sans moy vous auroit adorée.
C'est votre amant hélas; s'il a pu vous trahir,
S'il m'aime, si je meurs, le peut on mieux punir?

RAMIRE

Au nom de mes forfaits soyez inexorable.
Frappez.

ZULIME

Je vais percer Le cœur le plus coupable.