1740-03-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Françoise Quinault.

Je n'ay voulu avoir l'honneur de vous répondre mademoiselle qu'après avoir exécuté vos ordres autant que je l'ay pu.
J'avois besoin de revoir cette Zulime pour la quelle vous daignez vous intéresser, pour bien corriger un acte il faut avoir les autres dans la tête. Je n'ose être content de moy, mais je vous suplie d'en être contente, et de la faire jouer telle que je l'ay corrigée selon vos intentions. Je sens que je ne peux plus y rien faire d'essentiel. Certainement son succez ou sa chutte sont dans le gros de la pièce, et non dans de petits détails. Ne me jugez point par les lumières de votre esprit mais par les bornes de mon talent. Il y a des barrières pour tous les artistes. Les personnes d'un goust comme le vôtre voient bien au delà de ces barrières, mais l'artiste ne peut y atteindre. Ne croyez pas que mon peu de génie puisse suivre votre goust.

Si vous voulez vous en tenir à mes derniers efforts je me flatte que vous ferez connaître Zulime au public après Pâques. J'avois oublié de vous dire que je pense qu'il faut absolument que M. le Grand joue Mohadir. J'ay ajouté quelque chose d'assez touchant au récit que fait de Mohadir, de la mort du bonhomme, et vous savez combien le Grand fait valoir les récits. J'espère baucoup de la distribution des rôles. Peutêtre celuy de mr Dufrene n'a t'il pas des mouvements assez passionnez et assez contrastez; ce sont ces contrastes qui font valoir le mérite d'un acteur. Il y en a baucoup dans Le rôle de Zulime; mais qui ramènera melle Dumenil de la fureur à la tendresse? ce sera vous. Vous donnerez mademoiselle vos conseils aux acteurs comme aux autheurs. Heureux ceux qui en profiteront! Je vous regarde comme la reine du téâtre. Je vous suis dévoué pour jamais avec tous les sentiments que je dois à vos talents, à votre mérite, et à vos extrêmes bontez pour moy.

Le paquet a été adressé à Mr de Pondev.