à Bruxelles ce 23 [February 1740]
J'ai receu mademoiselle aujourduy à cinq heures du soir votre lettre et Le cinquième acte de Zulime.
J'ay l'honneur de Le renvoyer à sept heures, corrigé avec une résignation et une envie de vous plaire, qui supléera peutêtre au génie et au défaut du temps. Il part sous Le couvert de M. de Pondev . . . . J'avoue mademoiselle que j'ay senti un peu de tendresse paternelle en revoyant ce dernier acte, c'est que vos bontez l'ont rendu votre enfant, sans cela je l'aimerois moins. Je commence à augurer un assez grand succez si melle Gossin et melle Dumenil travaillent comme vous, pour Le bien public — mais je crois toujours que ce succez dépend en partie du soin extrême qu'il faut prendre autant qu'on peut de cacher un nom qui réveilleroit les cabales. C'est dans cette vue que je vous propose un expédient qui satisfera en même temps votre délicatesse, et ma crainte. Vous pourez faire présenter Le papier cy joint à l'assemblée après La Lecture. Il poura sans compromettre personne, faire l'effet que vous souhaitez. Je n'ay plus àprésent qu'à Recomander Zulime à vos bontez et à L'indulgence du public.
Je persiste à croire Mahomet très supérieur, sans pourtant penser qu'il soit susceptible d'un intérest aussi tendre que Zulime, et d'un aussi grand nombre de représentations. Le rôle de Saide réussiroit pourtant baucoup entre les mains de Mr Dufrene et surtout depuis que la fin du 4 acte est tendre au lieu d'être horrible. Mais il faut donc ressusciter Ponteuil pour jouer Mahomet. Il est certain que dans ce Mahomet, c'est Mahomet seul qui embarrasse, mais c'est trop nous inquiéter avant le temps, à chaque pièce suffit sa peine.
Vous trouverez d'ailleurs toujours en moy [un] homme plus docile dans Le commerce qu'un auteur amoureux de ses ouvrages. Je voudrois faire passer dans l'âme des Spectateurs des sentiments aussi vifs que ceux que vous m'inspirez.
V.