ce 16 février 1740
J'écris mademoiselle par cette poste à M. Dargental.
Je vous mande comme à luy que je ne peux faire L'impossible, et qu'il n'est pas en moy de corriger les 2 derniers actes de l'ancienne Zulime que vous voulez jouer, par la raison que ces actes sont à Paris parmy mes paperasses. Vous aviez très grande raison d'en être mécontente, mais si malgré Les défauts de ces deux derniers actes, vous voulez représenter cette Zulime, donnez la donc telle que vous L'avez. Je voi que Les changements qu'on me demande sont très peu de choses, et n'influeront en aucune manière sur le bon ou mauvais succez de L'ouvrage.
Tout ce que je peux avoir l'honneur de vous dire sur Zulime, c'est que je ne m'en avoueray jamais l'auteur, et que je ne la feray point imprimer eût elle 40 représentations. Il se peut faire que Le jeu des acteurs, le contraste de mesdemoiselles Gossin et Dumenil, L'avantage de paraître après Edouard trois, luy donnent quelque cours; mais tout cela ne me donnera point d'amour propre, et je seray toujours de votre avis, et de celuy de Mr de Pondeveile, que cette pièce est très faible.
Il n'en pas de même de Mahomet. Elle est à la vérité plus difficile à jouer. Il n'y a aucun rôle qui convienne aux talents de Mr votre frère, il est trop formé pour jouer Saide, il est trop aimable pour jouer Mahomet; et la même raison qui fait que Le rôle de Joad ne luy sied pas, feroit tort à Mahomet sans doute. Cependant malgré cet inconvénient Mahomet est un ouvrage que j'avoueray toujours, et je me trompe s'il n'a pas les suffrages des connaisseurs. J'en envoye par cette poste les deux derniers actes fort corrigés à Mr de Pondeveile. Si j'en étois cru on joueroit Mahomet ce caresme après avoir joué quelques pièces tendres pour varier, mais enfin je me soumets absolument à vous et à mes anges. Jouez Zulime ou Mahomet quand vous voudrez, vous êtes les maîtres. J'auray toujours, avec le remords d'être si peu dignes de vous, la plus tendre reconnaissance pour vos bontez.
Je demande toujours en grâce que Minet ne transcrive point les rôles, que l'on rende la pièce à Mr Pondev. après les représentations, et que jamais on ne me nomme pour l'auteur de Zulime. Il n'est pas douteux que Mr du Frene ne soit L'amant aimé de tout le monde, Ramire; Benassar Mr Sarrazin; Atide melle Gossin, Zulime mademoiselle Dumenil.
On me propose d'écrire à melle Gossin pour luy faire accepter Atide, mais je ne veux nullement mettre mon secret entre les mains de melle Gossin. Passe pour mon rôle, elle feroit du secret comme de ce rôle, elle le diroit. Ménagez cette petite négociation mon adorable Talie; conservez moy vos bontez. Je suis à vous en prose et en vers avec le plus tendre dévouement.
V.