1763-07-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Henri Louis Lekain.

Nous venons de jouer l'orphelin, le rôle de Gengis Kan a paru très supérieur à celuy d'Idamé, et plus rempli de grands mouvements.
Les passages rapides de la fureur à la tendresse, et de la menace au désespoir, le mélange de ces sentiments ont fait un effet prodigieux. Pour les rendre plus sensibles j'ay coupé quelques morceaux, par exemple au cinquième acte je passe de ce vers

Oui jusqu'à ce moment ce traître est épargné

à celuy cy

Tout couvert de son sang je devais sur sa cendre
A mes vœux absolus vous forcer de vous rendre.

Ces mots vous choisissez ma haine, vous l'aurez ont produit un contraste étonnant. On a prononcé vous l'aurez avec un désespoir aussi attendrissant que terrible. On a versé des larmes en menaçant. N'est ce pas ainsi que mon grand acteur veut qu'on joue?

Je voudrais bien faire quelque chose qui fût digne de luy.

Mais à 70 ans il faut plier bagage. Mes sentiments pour luy ne s'affaiblissent pas comme mes talents.

V.