[c. 20 January 1750]
Vous avez dû recevoir, mademoiselle, un changement très léger, mais qui est très important.
Je ne crois pas m'aveugler; je vois que tous les véritables gens de lettres rendent justice à cet ouvrage, comme on la rend à vos talents. Ce n'est que par un examen continuel et sévère de moi même, ce n'est que par une extrême docilité pour de sages conseils, que je parviens chaque jour à rendre la pièce moins indigne des charmes que vous lui prêtez.
Si vous aviez le quart de la docilité dont je fais gloire, vous ajouteriez des perfections bien singulières à celles dont vous ornez votre rôle. Vous vous diriez à vous même quel effet prodigieux font les contrastes, les inflexions de voix, les passages du débit rapide à la déclamation douloureuse, les silences après la rapidité, l'abattement morne et s'exprimant d'une voix basse, après les éclats que donne l'espérance, ou qu'a fournis l'emportement. Vous auriez l'air abattu, consterné, les bras collés, la tête un peu baissée, la parole basse, sombre, entrecoupée. Quand Iphise vous dit:
vous lui répondriez, non pas avec un ton ordinaire, mais avec tous ces symptômes du découragement, après un ah très douloureux,
En observant ces petits artifices de l'art, en parlant quelquefois sans déclamer, en nuançant ainsi les belles couleurs que vous jetez sur le personnage d'Electre, vous arriveriez à cette perfection à laquelle vous touchez, et qui doit être l'objet d'une âme noble et sensible. La mienne se sent faite pour vous admirer et pour vous conseiller; mais, si vous voulez être parfaitte, songez que personne ne l'a jamais été sans écouter des avis, et qu'on doit être docile à proportion de ses grands talents.