1732-11-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Louis Moreau de Maupertuis.

Ah! il me vient un scrupule affreux, et toutte ma foy est ébranlée.
Si vous n'avez pitié de moy, la grâce va m'abandonner.

Sib.D. vaut réellement quinze pieds, j'ay l'honneur d'être très croiant. Mais la lune ne peut être supposée tomber en D. d'une minute, qu'il ne soit démontré que l'effort seul de la pesanteur l'a fait tomber en f dans l'espace d'une minute.

Or il est certain que le mouvement circulaire de B en f dans l'espace d'une minute est composé de deux mouvements dont un seul luy feroit décrire la tangente, l'autre l'atireroit en a. Si la lune partant de B ne suivoit que le mouvement de projectile elle seroit arrivée plus loin qu'E dans sa tangente dans l'espace d'une minute, puisque durant ce temps la pesanteur l'a toujours raprochée D'a, et réciproquement si elle n'avoit eu que sa détermination vers le centre, elle seroit tombée plus bas que f, puisque dans ce temps elle étoit toujours poussée par le mouvement en ligne droite. Il paroit donc faux de dire que l'effort de la pesanteur seul a fait tomber le globe de E en f. Certainement cet effort seul l'auroit entrainée plus bas, comme la tangente seule l'auroit conduitte plus loin. Mais la lune se trouve en f parceque ces deux forces sont balancées l'une par l'autre. Je ne peux donc pas connoître par là, quelle est la force absolue de la pesanteur. Ces 15 pieds que l'on compte de E en f ne sont que le résultat d'une partie de la force centripète; donc la lune abandonnée à elle même tomberoi de baucoup plus de 15 pieds; donc la proportion suposée selon les quarrez des distances ne se trouve plus; donc ce n'est pas le même pouvoir qui agit sur les corps graves dans notre atmosphère et qui retient la lune dans son orbite.

Ces objections que je me fais me paroissent assez fortes, et je les fortifie encore par ce raisonnement cy

Le corps a poussé dans la diagonale a R, n'y est poussé que par les quatre degrez de force qu'il a dans la ligne orisontale, et les deux degrez qu'il a dans sa perpendiculaire. Cette force qui l'entraine dans la perpendiculaire n'est que de deux degrez, par ce que la force contraire est de quatre, mais si cette force contraire étoit ôtée, certainement la force perpendiculaire auroit eu bien plus de deux degrez, et ce corps qui arrive en R au bout de deux secondes dans sa diagonale auroit parcouru un espace baucoup plus grand en ce même temps s'il avoit été abandonné au seul mouvement de la pesanteur. Cette expérience est sûre et commune sur la terre, donc il en arrive autant là haut. Donc si le corps a n'ayant icy qu'un seul mouvement seroit tombé bien plus bas que B, Demême dans la première figure B devroit (n'ayant qu'un seul mouvement) tomber bien plus bas que D. Donc encor une fois la pesanteur seule feroit tomber un corps en cet endroit de baucoup plus que quinze pieds par minute.

Peutêtre ne sçai-je ce que je dis. Je m'en vais entendre la musique de Tancrede et j'attends votre réponse avec toute la docilité d'un disciple assez heureux pour avoir trouvé un maître tel que vous.

Non ita certandi cupidus quam propter amorem
quod te imitandi aveo. Quid enim contendat hirundo
Cignis! etc. Je vous cite toujours des vers mais je crois que vous
ne haissez pas des bribes de Lucrece.

V.