1732-12-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Louis Moreau de Maupertuis.

Je devrois être chez vous monsieur pour vous remercier de vos nouvelles bontez; mais des difficultez, des tracasseries, et des injustices singulières que j'essuye depuis quelques jours au sujet d'une préface que je destinois à Zaïre ne me laissent pas un moment de libre.
Il n'y a aucune de vos réflexions sur mes lettres à la quelle je ne me sois rendu dans l'instant. Mais malgré la vanité que j'ay de recevoir de vos leçons, mon petit amour propre se sent obligé de vous dire que mon copiste avoit passé une page entière, où j'expliquois tant bien que mal, le mouvement des prétendus tourbillons qu'on suppose emporter les planètes, autour du soleil, et le mouvement de rotation de chaque globe en particulier qu'on suppose être la cause de la pesanteur. Je me gardois bien de confondre ces deux romans; mais l'omission de près d'une page a dû vous faire croire que je pensoit que c'étoit la même matière subtile qui selon Descartes faisoit le mouvement annuel de la terre, et la pesanteur. Je suis bien aise de me justifier auprès de vous de cette erreur, et de vous dire encore qu'on a mis aphélie en un endroit pour périhélie.

Je vous suplie de vouloir bien examiner s'il est vray que mr Neuton assure que la lumière n'est point réfléchie par le rebondissement (si j'ose ainsi parler) des traits de lumière, qui sont repoussez comme une balle par une muraille. Pemberton que j'ay entre les mains, le dit positivement, et il n'y a pas d'aparence qu'il er impose à son maitre. Il s'étend fort sur cet article à la page 339 et suivantes, et il met au nombre des plus étonnants et des plus baux paradoxes de mr Neuton, cette proposition, que la lumière n'est pas réfléchie en rejaillissant sur les parties solides des corps.

Je n'ay pu m'étendre dans mes lettres ny sur cette particularité ny sur tant d'autres. Il auroit fallu faire un livre de philosophie, et je suis à peine capable d'entendre le vôtre. J'ay cru seulement être obligé en parlant de tous les baux arts de faire un peu conoitre mr Neuton à des ignorants comme moy in quantum possum et in quantum indigens.

Adieu. Je vous aime et je vous admire, mais j'y bien peur d'être obligé d'abandonner toute cette philosophie. C'est un métier qui demande baucoup de santé, et baucoup de loisir, et je n'ay ny l'un ny l'autre.

V.