1772-04-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François de La Harpe.

Nôtre académie défile, j’attends mon heure, mon cher enfant.
J’envoie mon codicile à nôtre illustre Doien qui pourait bien se moquer de mon testament, comme il s’est moqué plus d’une fois de son très humble serviteur le testateur.

Je crois que le philosophe d’Alembert, très véritable philosophe, qui a refusé la place du Duc de La Vauguion à Petersbourg, se soucie fort peu de la place de secrétaire; mais nous devons tous souhaitter qu’il daigne l’accepter, d’autant plus que malgré tous ses mérites il a une écriture fort lisible, ce que vous n’avez pas.

Le moment présent ne me parait pas favorable pour écrire à l’homme en place dont vous me parlez. On m’a fait auprès de lui une petite tracasserie, car il y a toujours des gens officieux qui me servent de loin. Agissez toujours, pulsate et apperietur vobis.

Connaissez vous un Monsieur l’abbé Duvernet qui veut absolument écrire ma vie en attendant que je sois tout à fait mort? Mr D’Alembert le connaît. Il faudrait qu’il eût la bonté d’engager mon historiographe à ne point faire paraître de mon vivant certains petits morceaux qu’il m’a envoiés, et qui me paraissent très prématurés, et qui pis est très peu intéressants. Je n’ose prier Mr Dalembert de lui en parler. Mais si par hazard il voiait Mr l’abbé Duvernet, il me ferait grand plaisir de l’engager à modérer son zèle, qui d’ailleurs ne lui procurerait ni prébende ni prieuré. Ces moments cy ne sont pas les plus brillants pour la république des lettres, nous sommes condamnés ad bestias; contentons nous pour le présent du bon témoignage de nôtre conscience: pour moi je mets tout aux pieds de mon crucifix, à mon ordinaire. Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur, et je vous donne ma bénédiction in quantum possum, et in quantum indiges.

V.