à Lyon 6 xbre [1754]
En vérité monsieur je ne conçois pas comment un homme aussi éloquent que vous ne veut pas qu'on appelle l'autel d'Auguste l'hôtel de l'éloquence.
Vous y auriez remporté plus d'un prix, et vous auriez justifié le titre que je luy donne. Je vous passe de contester aux anciens préjugez de Lyon l'honeur d'avoir vu naitre Marc Aurele dans cette ville. Je suis plus indulgent avec les lyonais que vous ne l'êtes avec moy. Il est vray que je dois aimer ce séjour que je quitteray pourtant bientôt. Je n'y ay point encor trouvé de prédicateur qui ait prêché contre moy, et j'ay été reçu avec des acclamations à l'académie et aux spectacles. Cependant soyez très convaincu que je regrette toujours votre conversation instructive, les charmes de votre amitié et les bontez dont Monsieur et madame de Klinglin m'ont honoré. Je vous supplie de leur présenter mes sincères et tendres respects aussi bien qu'à monsieur leur fils, et de ne me pas oublier auprès de Monsieur de Bruges. Permettez moy de vous dire que vous êtes aussi injuste pour ma santé que pour l'autel de Lyon. Il y aurait je ne sçai quoy de méprisable à feindre des maladies quand on se porte bien, et un homme qui a épuisé les apoticaires de Colmar de rubarbe et de pillules ne doit pas être suspect d'avoir de la santé. Elle n'est que trop déplorable, et vous ne devez avoir que de la compassion pour l'état douloureux où je suis réduit. Aureste soyez très certain mon cher monsieur que je seray l'année qui vient dans votre voisinage, si je suis en vie, et que j'en profiteray.
Je ne suis pas le seul contre qui des jésuittes indiscrets aient osé abuser de la permission de parler en public. Un père Toloma s'avisa il y a quelques jours de prononcer un discours aussi sot qu'insolent contre les auteurs de l'enciclopédie. Il désigna d'Alembert par ces mots, homuncio cui nec est pater nec res. Le même jour mr Dalembert était élu à l'académie française. Le père Toloma a excité icy l'indignation publique. Les jésuittes sont icy moins craints qu'à Colmar. Le roy de Prusse vient de me reprocher Le crucifix que j'avais dans ma chambre. J'ai prié madame Goll de le faire encaisser et de l'envoier au roy de Prusse pour sesétrennes.
Adieu monsieur, mille respects à made votre femme; comptez que je vous suis tendrement attaché jusqu'au dernier moment de ma vie.
V.
Made Denis vous fait à tous deux les plus tendres compliments.