1733-04-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Ce temple du goust, cet amas de pierres de scandale est tellement devenu un nouvel édifice qu'il n'y a pas deux pans de muraille de l'ancien.
Ceux qui l'ont pris sous leur protection veulent qu'on l'imprime avec privilège et qu'il soit affiché dans Paris afin de fermer la bouche aux malins faiseurs d'interprétations. Il est acompagné d'une lettre en forme de préface. On y pouroit joindre le temple de l'amitié, avec quelques pièces fugitives, et Jore pouroit s'en charger.

A l'égard des lettres angloises je vous prie mon cher amy de me mander si Jore y travaille. On a fait marché à Londres avec ce pauvre Tiriot à condition que les lettres ne paroitroient pas en France pendant la première chaleur du débit, à Londres et à Amsterdam. Il a même été obligé de donner caution. Ainsi quelle honte pour luy et pour moy, si le malheur vouloit qu'on pût en voir une feuille en ce pays cy avant le temps! Je croi vous avoir mandé qu'Adélaide du Guesclin est dans son quadre. Il ne s'agit plus que de la transcrire pour vous l'envoyer.

Voicy bien de la besogne. Nous avons encor l'histoire de Charles douze que Jore veut réimprimer. J'ay écrit en Hollande qu'on m'envoiast un exemplaire par la poste mais je ne l'ay pas encor reçu. Si Jore avoit quelques correspondants plus exacts, il pouroit en faire venir un en droiture. Sinon je luy feray tenir les corrections et additions avec les réponses à la Motraye.

J'ay bien envie de venir faire un petit tour à Rouen, et de raisonner de tout cela avec vous. Voicy le temps

Où les Zephirs de leurs chaudes haleines
Ont fondu l'écorce des eaux.

Quel plaisir de vous lire Adelaide, et même Eriphile revue et corrigée; j'entends quel plaisir pour moy, car de votre côté ce sera complaisance. Je n'ay encor montré qu'un acte à Formont. Il m'a parlé de votre idée anacréontique. Vous savez que l'exécution seule décide du mérite du sujet. On peut bien conseiller sur la manière de traiter une pièce, mais non pas sur le fonds de la chose. C'est à l'auteur à se sentir

cui lecta potenter erit res,
nec facundia deseret hunc nec lucidus ordo.

Vale, je vous aime de tout mon cœur.

V.