1756-01-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je reçois, mon cher ange, votre lettre du 29 Décembre dans ma cabanne de Monriond qui est mon palais d'hiver.
Mon sermon sur Lisbonne n'a été fait que pour édifier votre troupeau, et je ne jette point le pain de vie aux chiens. Si vous voulez seulement régaler Tiriot d'une lecture, il viendra vous demander la permission de s'édifier chez vous.

Je cherche toujours à vous faire ma cour par quelque nouvelle Tragédie; mais j'ai une maudite histoire universelle qu'il faut finir, et une édition à terminer. Ma déplorable santé ne me permet guères de porter trois gros fardeaux à la fois. J'ai résolu d'abandonner toute idée de Tragédie jusqu'au printemps: je sens que je ne pourai faire de vers que dans le jardin des Délices; il faut à présent que ma vieille muse se promène un peu pour se dégourdir. Je ne crois pas qu'on ait beaucoup à faire de Marianne quand on a un Astianax et une coquette. On dit que cette madlle Hus dont vous me parlez, ressemble plus à une Agnès qu'à une Salome. Cependant si vous voulez qu'elle joue ce vilain rolle, je lui donne de tout mon cœur in quantum possum, et in quantum indiget. Je suis gysant dans mon lit, ne pouvant guères écrire, mais je vais donner les provisions de Salome à la dite Demoiselle.

Quoique vous ne méritiez pas que je vous dise des nouvelles, vous saurez pourtant que la Cour d'Espagne envoye quatre vaisseaux de guerre à Buenos Aires contre le révérend Père Nicolas. Parmi les vaisseaux de transport il y en a un qui s'appelle le Pascal; peut-être y étes-vous intéressé comme moi, car il appartient à Mrs Gilly. Il est juste que Pascal aille combattre les Jésuites, mais ni vous ni moi ne paraissions pas faits pour être de la partie.

Je vous embrasse mon cher ange.

V.