1755-12-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Il n'y a pas grand mal, mon cher monsieur, que les financiers de Paris ayent rafflé toute la nouvelle Loterie.
Il se pourait très-bien faire que ces éffets perdissent un jour beaucoup de leur prix à force d'être multipliés, surtout si les anglais nous prennent nos vaisseaux et nos colonies, comme il n'est que trop probable. J'aime bien autant pour le moins mon petit fait entre vos mains qu'en Loteries.

Monriond est presque aussi joli que les Délices, mais je n'y ai trouvé jusqu'à présent ni la solitude, ni la santé que je cherchais. Vous m'avez envoyé de quoi purger tout Lausanne. Dieu vous le rende. Je fais de grandes affaires avec les apoticaires; c'est après vous ma plus grande correspondance. made Denis vous fait les plus tendres compliments: vous m'avez fourré comme un Roi du nord; du moins je soupçonne que c'est par vous que me sont venus le plus beau velours et la plus belle hermine du monde.

Je suis bien étonné de la perte de vingt millions vers Orange et Arles; tout le pays ne vaut pas cela; mais on exagère toutes les pertes. Les cent mille hommes péris à Lisbonne sont déjà réduits à vingt cinq mille, ils le seront bientôt à 10 ou 12. Il n'y a que les négociants qui connaissent leurs pertes au juste, car ils savent le compte de leurs éffets, et les rois ne savent jamais le compte de leurs hommes.

Je vous remercie et vous embrasse bien tendrement.

V.