1756-01-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Tronchin.

Je ne sçai mon cher confrère si vous ne recevrez pas deux lettres de moy en même temps.
Celle cy est pour vous prier d'engager monsieur Tronchin Esculape, à faire mettre, s'il est possible, dans la gazette d'Amsterdam, non dans celle de Geneve, mais véritable Amsterdm, ma lettre cy jointe à l'académie française. Secourez moy en prose, et je vous offre mes petits services en vers. Vous verrez par ma lettre à l'académie combien il est nécessaire que je m'oppose au nouvau tour qu'on me joue. Je me flatte d'ailleurs que si la gazette d'Amsterdam se charge de longs écrits sur le mouvement perpétuel elle peut se charger d'une lettre concernant une guerre.

Je crois Monsieur Tronchin Boissier ami de Mr de Boisi. Mr de Boisi l'est du général de Donop. Ce général est hessois. Les hessois sont maltraittez dans l'avorton d'histoire qui parait sous mon nom; et je voudrais qu'en général mr de Boisi mandât à M. le genal Donop qu'il paraît une histoire de la guerre de 1741 sous mon nom, et qu'elle n'est point de moy. Voyez mon cher ami si vous pouvez faire réussir cette petite négociation.

Or écoutez. Le roy d'Espagne envoye quatre vaissaux de guerre contre le père Nicolas à Buenos Aires, avec des vaissaux de transport chargez de trouppes. J'ay l'honneur d'être intéressé dans le vaissau le Pascal qui va combattre la morale relâchée au Paraguai. Je nouris des soldats. Je fais la guerre aux jésuittes. Dieu me bénira. Je m'intéresse encor plus cependant à Constantinople qu'au Paraguai.

Je me recommande à vos bontez et suis à vous hasta la muerte.

V.

Je reçois dans le moment le jugement que vous portez du jugement. Je suis de votre avis sur bien des choses mon cher confrère. La plus part de ceux qui nous jugent, n'entrent guères dans nos idées. Ils imaginent une pièce de leur façon quand ils lisent la nôtre; ils se font un plan, et veulent nous y assujetir. Je ne crois pas qu'on doive s'asservir à leurs idées. Mais aussi ne faut il pas négliger de corriger son ouvrage; c'est un grand plaisir de retoucher à loisir un beau tableau. Voyez si vous voulez y donner encor quelques coups de pinceau ou si vous m'ordonez de présenter votre tableau au salon où celui de Marie Stuard a déjà si bien réussi. Je suis comme vous savez à vos ordres.