Lausanne 2 juillet [1758],
Je vous assure que je suis plus affligé que vous.
Mais ma chère enfant vous savez que ce voyage à Manheim est un devoir qu'il fallait remplir. Soyez sûre que ce sera de tous les devoirs, le plus promptement dépêché et que je reviendrai bientôt au seul devoir de mon cœur. Nous avons voyagé par le déluge des Délices à Lausanne, il pleuvait dans la berline à peu près comme dans le grand chemin. Je soupai hier chez m. D'Hermanches avec tous les Chandieux, le marquis de Gentil n'y était pas, il paraît qu'on le boude. Il est vrai que madame de Bentinck a envoyé à Monrion mademoiselle de Donop, parente du général de Donop que vous avez vu…. Je pars demain lundi à Morat…. Si j'ai de la santé je ne m'arrêterai nulle part…. Il me semble que je ne marche que comme moitié de coq: j'ai laissé l'autre moitié et la meilleure aux Délices…. Tout le monde s'est empressé à demander de vos nouvelles, tout le monde vous fait des compliments, je fais les miens à votre sœur, à son fils, à m. de Fleurian…. Ayez surtout grand soin de votre santé, promenez vous quelquefois dans les allées que j'ai plantées. J'ai quelque envie que vous vous promeniez aussi dans celles de Champignelle et de vous voir dame du château avec votre aumônier. Une belle terre à gouverner est une chose très amusante et si vous pouvez aimer cette vie qui est la plus naturelle, la plus tranquille, et la plus saine, je serai le plus heureux des hommes. Paris n'est bon qu'à vingt cinq ans…. Je ne songe à présent qu'à me rapprocher de vous….