aux Délices 16 avril [1756] près de Genève
C'est un trait digne de mon héros de daigner songer à son vieux petit suisse quand il s'en va prendre ce port Mahon.
Savez vous bien monseigneur que l'ile de Minorque s'appellait autrefois l'ile d'Aphrodise, et qu'Aphrodise en grec c'est Vénus? Je me flatte que vous donnerez pour le mot Venus victrix, cela vous siéra à merveille. Ce mot là ne réussit pas mal à un de vos devanciers qui eut aussi àfaire en son temps aux anglais et aux dames. Je ne conçois pas comment les anglais pouraient s'opposer à votre expédition. Ils ont quatre cent cinquante lieues à traverser avant d'être dans la mer de vos iles Baleares, et quand même ils arriveraient à temps, auront ils assez de trouppes? Vous n'avez pas cent lieues de traversée. Si le sud ouest vous est contraire ne l'est il pas aussi aux anglais? Enfin j'ay la meilleure opinion du monde de votre entreprise. Il vient tous les jours des anglais dans ma retraitte. Ils me paraissent très fâchez d'avoir chez eux des hanovriens, et ils ne croyent pas qu'on puisse vous empêcher de prendre port Mahon fussiez vous quinze jours aux iles d'Hieres.
Comme on peut avoir quelques moments de loisir sur le Foudroiant dans le chemin, je prends la liberté grande de vous envoier mes sermons. Ils ne sont ny guais ny galants. Ils conviennent au st temps de pâques. Ils sont bien sérieux, mais votre sphère d'activité s'étend à tous les objets. S'ils vous ennuient vous n'avez qu'à les jetter dans la mer. Je ne dirai tout est bien que quand vous aurez pris la garnizon de port Mahon prisonière de guerre. En attendant je songe assez tristement aux choses de ce monde. J'ay reçu de Buenos Airès le détail de la destruction de Quito. C'est pis que Lisbonne. Notre globe est une mine, et c'est sur cette mine que vous allez vous battre.
Vous savez que les jésuittes du Paraguai s'opposent très saintement aux ordres du roy d'Espagne. Il envoye quatre vaissaux chargez de trouppes pour recevoir leur bénédiction. Le hazard a fait que je fournis pour ma part un de ces vaissaux dont une petite partie m'apartenait. Ce vaissau s'appelle le Pascal. Il est juste que Pascal combatte les jésuittes, et cela est plaisant. Pardon de bavarder si longtemps avec mon héros. Made Denis et moy nous luy présentons nos tendres respects, nos vœux, nos espérances, notre impatience.
V.