1756-04-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Sébastien Dupont.

Je vous avais envoié mon cher amy deux petits ouvrages assez tristes et assez conformes à l'abat où doit être votre âme après la perte d'un jeune homme de si grande espérance à qui vous étiez tendrement attaché.
Vous devez avoir reçu mes jérémiades et vous devez sentir que le tout est bien de Pope n'est qu'une plaisanterie qu'il n'est pas bon de faire au malheureux. Or sur cent hommes il y en a au moins quatre vingt dix qui sont à plaindre. Le tout est bien n'est donc pas fait pour le genre humain. Je suis honteux de datter ma lettre des délices en écrivant à monsieur de Klingling. Mais enfin il faut bien que j'aye un port après avoir essuié tant d'orages. Je suis très aise d'être loin des jésuittes et des médecins de Colmar. Ces charlatans là puisent au corps et à l'âme. Nous avons aprésent un vrai médecin qui est allé de Geneve à Paris aprendre aux François à préserver leurs enfants de la petite vérole en la leur donnant, ce ne sont pas là des exemples à remettre devant les yeux de M. le per président, ils redoubleraient trop sa douleur.

Si le port Mahon n'est pas pris quand vous recevrez ma lettre, il ne le sera jamais. Madame Denis et moi nous vous assurons vous et me Dupont de la plus tendre amitié

V.