1777-11-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Claude Delisle de Sales.

Soyez le bienvenu dans Babylone, monsieur; vous croyez bien que je n'ai pu ni vous lire ni vous entendre sans m'intéresser tendrement à vous.
Je vois qu'il est temps que vous preniez un parti, et que vous songiez à vivre heureux autant qu'à être célèbre. Le roi de Prusse me paraît favorablement disposé pour vous. Voyez si vous avez quelque chose de meilleur à espérer à Paris. S'il ne se présente rien qui vous convienne dans cette Babylone, nous allons travailler à vous faire un sort en Prusse. M. d'Alembert et moi, nous tâcherons de vous y introduire.

Si quid novisti rectiùs istis,
Candidus imperti, si non his utere prudens.

Quelque chose qui arrive, il ne me paraît guère possible qu'un homme de votre mérite demeure abandonné. Je souhaite passionnément que vous ayez à choisir entre Babylone et Sans-Souci.

M. de Villette est chez moi. Il est assurément plus puissant que moi; il peut vous servir mieux, mais non avec plus de zèle. Made Denis pense comme nous, et vous est très attachée.

J'ajoute à ma lettre que m. de Villette épouse cette demoiselle de Varicourt que vous avez vue chez nous. Il la préfère aux partis les plus brillants et les plus riches qu'on lui a proposés; et quoiqu'elle n'ait précisément rien, elle mérite cette préférence. M. de Villette fait un très bon marché en épousant une fille qui a autant de bon sens que d'innocence, qui est née vertueuse et prudente comme elle est née belle, qui le sauvera de tous les pièges de Babylone et de la ruine qui en est la suite. Nous jouissons made Denis et moi du bonheur de faire deux heureux.