à Cirey ce 27 [July 1744]
Je laisse encor dormir ma princesse de Navarre mon cher et respectable amy, afin qu'elle endorme moins son monde, et je la reprendray en sous œuvre dès que le roy aura fait repasser le Rhin au prince Charles.
Vous ne me dites point si vous avez eu le malheur de faire donner à cet étrange Rameau touttes les rimes destinées à ses triples croches. Vous savez que ces divertissements étoient un peu différens dans le dernier manuscript et d'ailleurs l'abbé de Voisenon est en Normandie. Mettez moy au fait je vous en suplie de ma situation avec le roy des quintes avec qui je ne traitteray jamais par lettres.
Je ne peux trop vous remercier de la bonté que vous avez eue de parler à Praut. Je peux vous certifier plus que jamais que de tous les fripons de libraires Praut est le plus fripon. Monsieur Palu me mande aujourduy que le correspondant de Praut à Lyon, luy a avoué qu'il y avoit déjà deux cent exemplaires de cette malheureuse edition qui sont vendus. Ce correspondant a écrit à un autre fripon nommé le Gras, sindic des fripons, et libraire au palais, de surseoir à la vente de cette iniquité. De là je conclus que le Gras et Praut ont l'infâme édition à Paris. Je n'ose vous suplier d'envoyer chercher cet impudent syndic, et de luy faire séquestrer ce qu'il a mais il faut que je vous avoue que je suis sensiblement affligé de me voir toujours défiguré et déshonoré par des éditions capables de m'ôter cette fumée après la quelle je cours comme un sot depuis trente ans. Je suis exclus de tout dans ce monde, toutes les récompenses me sont ravies, touttes les portes me sont fermées. Il me reste le public, auprès du quel on me rend ridicule, ma folie étoit de ne point passer pour un impertinent écrivain. Praut m'a joué le plus infâme tour dont un homme de sa profession soit capable. Il y a plus d'un an que j'ay donné à cet honnête homme de quoy corriger son premier volume, que ne l'a t'il fait? Le reste eût été prest sur le champ. Mais au lieu de commencer à remplir sa promesse, il a eu la mauvaise foy d'ajouter encor un nouvau volume contenant l'histoire de Charles douze, et la sottise grossière d'imprimer cette histoire sur une ancienne édition très fautive.
Toutte mon ambition est actuellement de savoir où est toutte cette édition. Le préalable seroit d'exiger de Praut qu'elle fût séquestrée entre les mains d'un honnête homme, en attendant que je fournisse de quoy la corriger, et en ce cas je fourniray avant qu'il soit un mois tous les changemens nécessaires et je promets encor d'en acheter trois cent exemplaires argent comptant, mais il ne faut pas s'en tenir aux paroles de Praut qui est le plus embrouillé brouillon, et le plus hardy menteur du quay des Augustins. Je ne feray rien avec luy si l'édition n'est séquestrée; et s'il refuse de le faire, je le