[29 Juin 1736 après midy et Jorre s’étoit désisté le matin]
Monsieur,
J'ay supprimé le dernier mémoire que j'ay eu l'honneur de vous envoyer et j'en ay brûlé deux cent exemplaires qui restoient, voulant absolument étouffer l'affaire comme vous l'avez ordonné, et ayant même retiré les pièces des mains de mon procureur.
Je me disposois à partir incessamment, mais j'aprends que la caballe de Jore veut poursuivre. Jore prétend que vous serez obligé de représenter L'original de la lettre, en justice. Il a protesté contre vous, Monsieur, chez un notaire après vous avoir remis cette pièce. Il a déjà gagné près de deux mille francs à faire imprimer chez Guerin, quay des Augustins, son libelle diffamatoire sous le nom de factum. Il en fait mettre un nouvau sous presse chez le même Guerin. Ce n'est plus moy Monsieur qu'on attaque icy, c'est votre autorité qu'on brave. C'est un scélérat repris de justice presque tous les ans, qui a osé se servir du nom de M. le garde des sceaux pour m'extorquer par un mensonge cette lettre en question. C'est un homme qui n'est à Paris que pour mener une vie scandaleuse, c'est luy qui vous a trompé en vous vendant 8lt trois exemplaires qu'il disoit avoir achetez, et qui étoient son propre ouvrage. C'est ce même homme enfin qui se révolte contre vous.
Je sçai monsieur que vous ne daignez pas faire attention à une insolence dont vous ne pouvez être offensé. Mais la justice et le bon ordre sont aussi outragez que vous, et si vous oubliez vos ressentiments, vous n'oubliez pas le bien public.
Pour moy monsieur je suis aussi pénétré de vos bontez que de votre équité.
Je suis avec respect Monsieur
votre très humble, très obéissant et très obligé serviteur
Voltaire