1736-06-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à René Hérault.

Monsieur,

Puisque vous voulez bien être médiateur aulieu de juge, je vous suplie très instament de ne me pas condamner par l'arbitrage, à une somme que certainement aucun jugement ne me feroit jamais payer.
Il ne faut pas être grand jurisconsulte pour savoir qu'un créancier sans titre, et au quel on oppose des écrits valant quittance, n'a rien à demander. Mr Rouillé qui vous a dit que j'avois offert mille francs pour acheter le silence de ce misérable, et pour éviter un procez ridicule, n'a pas été bien informé. Mr le Normand qui sait bien que je gagnerois en justice avec dépens, m'avoit conseillé d'acheter la paix avec 50 pistoles. Mais pour mille francs il n'en a êté jamais question, et je vous jure que je n'ay pas le pouvoir, et n'ay pas eu la volonté de les donner.

Il dépend de vous monsieur d'interposer votre autorité. Je vous prie de considérer que si j'étois obligé de payer cent pistoles à cet homme, c'est tout au plus ce que vaut l'édition. Il paroitroit donc qu'en effet je ne l'avois point payé. Ainsi par l'événement de la médiation et de l'arbitrage il m'en coûteroit cent pistoles, et je serois déshonoré, au lieu qu'en plaidant il ne me faut qu'une audiance pour faire casser sa procédure et le faire condamner aux dépens.

J'attends monsieur une décision de vous et j'espère baucoup de votre justice et de votre bonté pour moy.

Je suis avec respect

Monsieur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire