à Luneville ce 15 may [1735]

Mon cher correspondant me voicy dans une cour sans être courtisan.
J'espère vivre icy comme les souris d'une maison qui ne laissent pas de vivre guaiment sans jamais connaitre le maitre ny la famille. Je ne suis pas fait pour les princes, encor moins pour les princesses. Horace à bau dire

Je ne mériteray point cette louange. Il y a icy un excellent phisicien nommé m^r de Varinge, qui de garçon serrurier est devenu un philosofe estimable grâce à la nature, et aux encouragements qu'il a reçus de feu m. le duc de Lorraine qui déterroit et qui protégeoit tous les talents. Il y a aussi un Duval bibliotéquaire qui de paysan est devenu un savant homme, et que le même duc de Lorraine Leopold, rencontra un jour gardant les moutons et étudiant la géographie. Vous croiez bien que ce sont là les grands de ce monde à qui je feray ma cour. Joignez y un ou deux Anglais pensants qui sont icy, et qui dit on s'humanisent jusqu’à parler. Je ne croi pas qu'avec cela j'aye besoin de princes. Mais j'auray besoin de vos lettres. Je vous prie de ne pas oublier votre philosophe lorrain qui aime encor les rabachages de Paris surtout quand ils passeront par vos mains.

Je prie instament m. Tiriot le marchand de me mander s'il a reçu des réponses de la fermière de belle poule, si mes lettres de change ont été acceptées, et s'il a bien voulu finir mon petit compte.

Joue t'on toujours l'opéra des grâces? que fait la comédie française? comment gouvernez vous votre maîtresse, ou si vous l'aimez mieux, votre putain? Faites bien mes compliments à notre amy Sauvau qui a en prose plus d'imagination qu'un poète. Dites luy qu'il n'oublie pas qu'il m'a promis de m’écrire. Je suis bien fâché de n'avoir pu profiter des bontez que m^rs Desalleurs, et chevalier Daidie m'ont conservées, dites leur je vous en prie que si jamais je retourne à Paris je compte bien leur faire ma cour. Vale.

V.