1773-05-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul.

S’il y a dans cet ouvrage un petit nombre de vers heureux qui vous plaisent, ce dont je doute beaucoup, je vous dirai comme Horace à Mecene, principibus placuisse viris non ultima laus est.
Ce n’est pas un petit avantage de plaire aux premiers hommes de sa nation.

Cela est beaucoup plus vrai qu’on ne pense. La raison est que les hommes élevez audessus des autres sont distraits par tant d’affaires importantes qu’ils n’ont ni le temps ni la volonté d’écouter des choses triviales. Ils sont si acoutumez dans touttes les discussions qui se font en leur présence à proscrire tous les lieux communs de rétorique, touttes les pensées fausses mal exprimées, tout ce qui est inutile qu’ils se font sans même s’en apercevoir des règles du bon goust au dessus de celles qu’on trouve dans les livres. Il leur faut toujours du vrai et du naturel, mais ce vrai doit être intéressant et ce naturel doit être noble. Monseigneur le duc d’Orléans, régent du Roiaume, me fesant un jour réciter le second chant de la Henriade, me dit, il faut que le vers me subjugue.

J’ignore s’il y aura dans les loix de Minos quelque morceau qui puisse vous subjuguer.