Paris ce 10 décembre 1731
Grand merci de la prudence et de la vivacité de votre amitié.
Je ne peux vous exprimer combien je suis aise que vous ayez logé chez vous les onze pélerins. Mais que dites vous de l'injustice des méchants qui prétendent que Eriphile est de moi, et que Charles douze a été imprimé à Roüen? L'antéchrist est venu, mon cher monsieur; c'est lui qui a fait la vérité de la religion prouvée par les faits, Marie Alacoque, Séthos, Œdipe en prose rimée et non rimée; pour Charles 12 il faut qu'il soit de la façon d'Elie, car il est très approuvé et persécuté. Une chose me fâche. C'est que le chevalier Folard que je cite dans cette histoire vient de devenir fou. Il a des convulsions au tombeau de saint Paris. Cela infirme un peu son autorité; mais après tout le héros de l'histoire n’était guère plus raisonnable.
Vous devez savoir qu'on a voulu mettre Jore à la Bastille pour avoir imprimé à la tête du procès du père Girard une préface que l'on m'attribuait; comme on a su que j'ai fait sauver Jore, vous croyez bien que l'opinion que j’étais l'auteur de la préface n'a pas été affaiblie ni dans l'esprit des jésuites ni dans celui des magistrats leurs valets. Cependant c’était l'abbé Desfontaines qui en était l'auteur. On l'a su à la fin, et ce qui vous étonnera c'est que l'abbé couche chez lui. Il m'en a l'obligation; je lui ai sauvé la Bastille, mais je n'ai pas été fort éloigné d'y aller moi même.
J'ai écrit à mr de Cideville pour le prier d'engager mr Des Forges à empêcher rigoureusement qu'on n'imprime Charles douze à Roüen. Je crois que les Machuels en ont commencé une édition. Mr le pr président ferait un bon coup de l'arrêter. Mais Daphnis, Cloé, Antoine et Cléopatre, Isis et Argus me tiennent encore plus au cœur. Adieu.
V.