Le 13 janver 1772
Le vieillard de Ferney a été malade pendant un mois; il est dans l'état le plus douloureux et n'en est pas moins sensible aux bontés et au mérite de monsieur l'abbé Duvernet. Privé presque entièrement de la vue et enterré dans les neiges, il se console en voyant qu'un philosophe aimable et plein d'esprit, veut le faire revivre dans la postérité. Il s'en faut beaucoup que ce vieillard approche de Despréaux; mais en récompense mr l'abbé Duvernet vaut beaucoup mieux que Brossette.
Mon ancien ami Thiriot, si mr l'abbé veut prendre la peine de l'aller voir, le mettra au fait de tout ce qui peut avoir rapport au duc de Sully et au chevalier de Rohan qui passait pour faire le métier des Juifs: il lui donnera aussi des anecdotes sur Julie, devenue la comtesse de Gouvernet, et sur la bagatelle des tu et des vous. Il est très vrai que dans ma seconde retraite à la Bastille, il me pourvut de livres anglais et qu'il lui fut permis de venir dîner souvent avec moi; il est encore très vrai que son amitié, du fond de la Normandie où il était alors dans une des terres du président de Bernieres, le fit voler à mon secours au château de Maisons où j'avais la petite vérole. Gervasi, le Tronchin de ce temps là, fut mon médecin. La limonade et lui me tirèrent d'affaire..
Mr de Cideville dont vous me parlez, était conseiller au parlemt de Rouen. Il avait alors beaucoup d'amitié pour moi. Il est à Paris, très vieux, très infirme et très dévot; c'était un magistrat intègre, et la dévotion ne l'a pas empêché de me rendre justice et d'avouer que la cupidité de Jore gâta tout et me donna de grands embarras. Cet imprimeur me demanda pardon d'avoir signé un mémoire grossier qu'avait forgé l'abbé Desfontaines. Mr Hérault, alors lieutenant de police, intercéda pour lui: je lui pardonnai et le tirai de la misère.