de Paris ce 22 7bre [1751]
Vous croiez bien Monsieur que je n'aurois pas été si tranquille sans notre grand abbé qui me donnoit très exactement de vos nouvelles.
Il faut me pardonner ma paresse en faveur de tous les tourmens que Mahomet m'a fait essuier. Si j'étois venue àbout de mon proget je ne regreterois pas mes peines mais il y a eu à tout cela des tripotages de Cours dont Mahomet est la victime. Si Mr de Richelieu ne s'en étoit pas mêlé je crois que tout auroit bien été et qu'on a pas été fâché de lui donner un dégoût. Car l'aprobation de la pièce par Crebillon n'étoit nulement nécessaire, puis que la pièce avoit déjà été jouée et approuvée. Cependand si Crebillon n'avoit pas fait la lâcheté de refuser son approbation après m'avoir donné la veille sa parole d'honneur de l'approuver elle auroit été jouée. J'ai fait pour cela plus de pas que s'il s'étoit agy de ma fortune. Il me reste une Consolation, c'est que le public est fort fâché et voit clerement le mouvement de vengence qui a fait agir Crebillon et j'espère que cette disposition sera favorable à Rome sçauvée. Mais parlons de vous. Vous faites donc des préfaces pour votre académie? Elle est en bonne mains et je n'en suis pas en peine. J'envie le plaisir que vous avez d'être à votre jolie terre et je vous jure que j'en aurois eue un grand d'y passer l'automne avec vous.
L'abbé m'a un peu conté toutes vos petites affaires. Si je ne vous connoissois pas le philosophe le plus doux et par conséquand le plus affermi, car je me méfie des antousiastes en tout genre, j'aurois tremblé pour votre raison. Eh bien on est donc dévote! voilà une belle chiene de resource et vous voilà à louer mon pauvre ami. Sans plesantrie ne devenez point dévot, j'en mourerais de chagrin. Je ne doute pas que vous ne conserviez beaucoup d'amitié pour votre sainte mais un philosophe et une dévote ne peuvent guère avoir l'un pour l'autre une confiance bien intime et je crains que vous ne vous trouviez bien seul si vous poussez votre voiage aussi loin qu'à l'ordinaire.
Vous devriez revennir après la st Martin, c'est l'avis de l'abbé et le mien. Vous nous trouverez tous deux bien disposez à vous recevoir et je bénirai la sainte qui vous aura renvoiée à moi. Apropos de sts on a joué yer la guirlande de Marmontel et de Rameau à la place de l'acte des fleurs et un prologue de Mongrif sur la naissance du duc de Bourgogne dont la musique est des petits violons. Le prologue a été siflé, il est détestable pour les paroles et la musique. Les guirlandes ont étés aux nues. Voilà un grand triomphe pour Rameau sur les petits violons. Quand jourons nous Daphnis et Cloé? On ne sçait ce que devient Francoeuil, sa femme se porte à merveille, sa couche lui a rendue la vie. Mon Oncle ne reviendra point cet yver. Malgré l'envie que j'avais de le voir je ne peux pas lui en sçavoir mauvais gré sur tout après l'avanture de Mahomet. Il veut que son sciècle et Rome aient fait leur effet à Paris et je crois qu'il a raison. Enfin je gete mon bonet par dessus les moulins et je m'abandonne à la providence. Chymenes me demande toujours de vos nouvelles, il vous aime avec passion, c'est une fureur. Mon Oncle me prie aussi de lui parler quel que fois de vous et de vous dire qu'il vous aimera toujours apsant comme présant. Sa nièce pence de même mais elle voudrait vous voir icy. Adieu, contez sur la plus tendre amitié et mendez moi vos progets pour votre retour.