A Bordeaux, ce 9 décembre 1763
Messieurs,
M. le maréchal duc de Richelieu, portant partout sur ses pas le goût de la littérature & des beaux-arts, a voulu que l'on représentât ici un spectacle capable de les réunir tous; & il a choisi La Princesse de Navarre, comédieballet, fête donnée sous ses ordres au roi, à Versailles en 1745, à l'occasion du mariage de monseigneur le dauphin avec l'infante d'Espagne.
Aucune pièce ne pouvait si bien remplir les grandes vues de m. le maréchal, puisque m. de Voltaire lui même annonce dans la préface, qu' il s'est efforcé seulement de réunir les talents de tous les artistes qui se distinguent le plus; ajoutant, sans doute par modestie, que l'unique mérite de l'auteur a été de chercher à faire valoir celui des autres.
Si ce spectacle n'a jamais été donné qu'à la cour, il n'en faut chercher la raison que dans l'impossibilité de le mettre ailleurs. Et c'est une distinction pour notre théâtre, que de rassembler tous les sujets nécessaires à son exécution.
En effet, où trouver ailleurs, dans la même troupe, l'opéra réuni à la comédie française & italienne, la tragédie à la parodie; & dans chaque genre, de bons acteurs? Où trouver cinq hommes & quatre femmes chantant seuls dans la plus noble musique de m. Rameau? des ballets & un orchestre, que l'on goûte même en arrivant de Paris? une profusion dans la dépense, tant pour les décorations que pour les habits? Voilà ce qui ne se trouve qu'à Bordeaux.
M. de Belmont, directeur des spectacles de cette ville, a si bien rempli l'attente de m. le maréchal, que ce spectacle a été également admiré par la magnificence, par le goût, & par l'ensemble de toutes ses parties.
M. de Voltaire, se rendant aux désirs de m. de Belmont, lui a envoyé un nouveau prologue, qu'il a prononcé le 26 novembre, avant la première représentation, en présence de m. le maréchal. Cette seule pièce suffit pour me faire espérer, messieurs, que vous insérerez dans votre Mercure cette lettreci, qui du moins aura le mérite d'amener une nouveauté, plus remplie de choses que de mots.
Nouveau prologue de la Princesse de Navarre,
par m. de Voltaire
Ce spectacle a déjà été représenté trois fois, & toujours avec une affluence égale à la satisfaction des spectateurs.
J'ai l'honneur d'être, avec une estime respectueuse,
Messieurs,
Votre, &c.
Louis Claude Le Clerc