1748-06-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Agathe Truchis de La Grange.

Prologue

Osons nous rétracer des féroces vertus
Devant des vertus si paisibles?
Osons nous présenter ces spectacles terribles
A ces regards si doux, à nous plaire assidus?
Cesar ce Roy de Rome, et si digne de L'être,
Tout héros qu'il étoit fut un injuste maître;
Et vous régnez sur nous par le plus saint des droits.
On détestoit son joug, nous adorons vos Loix;
Pour vous et pour ces Lieux quelle scène Etrangère
Que ces troubles, ces cris, ce sénat sanguinaire,
Ce vainqueur de Pharsale au temple assassiné,
Ces meurtriers sanglants, ce peuple forcené?
Touttes fois des Romains on aime encor l'histoire,
Leurs grandeurs, leurs forfaits vivent, dans la mémoire,
La jeunesse s'instruit dans ces faits éclatans,
Dieu luy même a conduit ces grands événements.
Adorons de sa main ces coups épouvantables
Et joüissons en paix de ces jours favorables,
Qu'il fait luire aujourd'huy sur des peuples soumis
Eclairez par sa grâce, et sauvez par son fils.

Voylà madame ce que vous m'avez ordonné. J'aurois plutôt exécuté cet ordre si ma santé, et des occupations fort différentes de la poésie l'avoient permis. Je voudrois que ce prologue fût plus digne de vous, et répondît mieux à l'honneur que vous me faites; mais que dire sur Jules Cesar dans un couvent? J'ay tâché au moins de rappeller autant que j'ay pu les idées de cette catastrophe aux idées de relligion, et de soumission à dieu, qui sont les principes de votre vie et de votre retraitte. Je vous prie madame de vouloir bien intercéder pour moy auprès du maître de touttes nos pensées. Vous me rendrez par là moins indigne de voir mes ouvrages représentez dans votre sainte maison.

J'ay l'honneur d'être avec respect,

madame,

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire gentilhome ordinaire du roy