1751-01-04, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Marie Louise Denis.

Aulieu de me détester vous m'envoiez Monsieur pour mes étraines les plus jolis vers, envérité vous êtes un homme charment et comment avec de pareils procédés pouroit on se deffendre de vous aimer?
Aussi je vous promets de ne point aller en Prusse. Mr de Voltaire commence à entendre raison. Apparament que plus il connois le païs plus il sent la difficulté que j'aurais à m'y faire. Nous yrons à votre jolie terre quand elle sera finie mais en attendand venez donc à Paris et ne soiez point fâché de ce que je ne vous écrit point. Je n'ai pas un moment dans la journée et je suis obligée d'écrir des Volumes à mon oncle qui n'est jamais contant. Au reste je suis fort contante de lui, il me marque beaucoup d'amitié et me promet d'arriver incessament. Mais je ne l'attends pas avant le mois d'avril, j'ai sur cela bien des progets que je vous dirai à votre retour. Mais parlons de votre opera. J'ai fait parler à Ramau sans vous nomer. Il a de la besogne encor pour deux ans. J'ai tanté Mondonville, il vient de commencer les quatre parties du monde de Rois par ordre de Mr Dargencon et en suite il a encor un autre engagement. Quand j'ai vu toutes ces difficultés j'ai pris le parti de le donner à Francoeuil. Nous n'aurions pas pu le tromper aussi longtemps et Mondonville m'a dit que peut être de trois ans il n'auroit pû commencer celui cy parce qu'il s'en faut bien qu'il travaille autant et avec la même facilité que Ramau. Au reste Francoeuil m'a paru rempli de zelle. Il travaille présentement et à votre retour nous en exécutrons quelque chose chez moi.

L'abbé du Renel est arrivé yer de Senlis, nous soupons ensemble aujourdui, vous devez juger qu'il sera question de vous. Je travaille à une nouvelle pièce, je reprens du dénoument, mais j'ignore encor si le reste en sera digne. Je la ferai en prose en entier avant d'y commencer un ver, mais elle va dormir quelque temps jusqu'à ce que j'aie répondu à toutes mes lettres et que j'aie encor raboté ma première pièce. Comme j'en ai changé le fond plusieurs fois il y a toujours à refaire. Adieu Monsieur, quand reviendrez vous donc? Nous jourons la comédie à l'arrivée de mon Oncle. Je la désire et je la redoute car lors qu'il repartira pour la Prusse j'ignore comment je pourai soutenir une séparation aussi dure. Il me parois toujours très contant mais il me semble que l'entousiasme diminue. Ce peti Darnaux a fait làbas bien du bruit. Nous parlerons de tout celà. Adieu, toute paresseuse que je suis aimez moi toujours et comtez de ma part sur la plus constante amitié.