ce 14 mai [1765] de Fernex par Geneve
Serait il possible Monsieur que j'usse été si longtemps que vous me le marquez sans vous écrire?
Je conviens que je suis malade et par conséquand paresseuse, mais je me souviens très bien de vous avoir adressée une lettre à Paris ver la fin de dessembre ou les premiers jours de janvier. Vous êtes venu à Paris plus tard qu'à votre ordinere, et sans doute ma lettre ce sera perdue. Tout ce que je puis vous dire c'est que non seulement je ne vous ai jamais oublié, mais que j'ai pour vous la même amitié que lors que j'avais le plaisir de vous voir tous les jours, que je vous regrete infiniment, et que je donnerais toute chose au monde pour vous revoir. Si vous ne pouvez vous résoudre à venir passer une saison avec nous ou un hyver ou un été vous me ferez bien du chagrin car je sens qu'il m'est impossible de quiter. Je suis à la teste d'une assez grosse maison. Mon Oncle ne peut pas se passer de moi. Je conduis une petite Colonie que nous avons fondée. Mon Oncle comme vous savez a bâti Fernex fort agréablement mais comme notre famille a augmenté (car vous savez que mr et mme Dupuits demeurent avec nous) mon Oncle s'est résollu d'agrandir son château et d'y bâtir deux ailes. Je comte que la bâtisse sera couverte cette autone, et que nous en jouirons l'été de 66. Ce château sera fort beau et il y aura beaucoup de logemens très agréable. Dans notre peti coen du monde nous ne laissons pas que d'en voir beaucoup, nous sommes déjà six maitres de fondation, mr et mme Dupuits, un architecte et sa femme, jens doux, utils, et d'une très bonne sossiété qui me font un plan géométrique de ma terre, qui bâtisse une jollie maison dans mon vilage, et brochant sur le tout un ex gesuite qui nous dit la messe, qui m'a montré l'anglais, et qui joue aux échais avec mon Oncle.
A l'égard de Mme Dupuits j'en suis toujours infiniment contante. Vous souvenez vous que lors que nous cosions au coen du feu et que nous fesions des progets de société, vous me disiez qu'il était fort doux de vivre deux femmes ensembles qui se convienent et que vous prétandiez que mme de Francoeuil serait fort bien ma compagne? Hé bien Mme Dupuits lui ressêmble beaucoup, son caractère est doux, bienfesant, et reconnoissant, je l'aime comme ma fille, son mari est aussi fort aimable et ces geunes gens font la dousseur de ma vie, mais je ne serai jamais parfaitement contante que vous ne veniez passer au moins six mois avec nous. Vous êtes garçon et libre, dites moi je vous prie où vous pouvez être mieux qu'avec vos ensiens et vos meilleurs amis? Soiez sûr que mon Oncle sera aussi contant de vous voir que moi; nous aurons bien soin de vous. Si vous avez la moindre incomodité vous aurez Tronchain à vos ordres. Enfin mon cher ami il faut vous déterminer à cela si vous avez encor de l'amitié pour nous. J'attands ma soeur et son mari ces jours ci, elle passera l'été avec nous. Mon frère et mon neveu viendront l'année prochaine. Vous deveriez bien vous débaucher et partir avec eux. Ils ne seront pas ici aussi longtemps que je le voudrais mais ils iroient juger les humains et nous vous garderions. Réfléchissez bien à tout cela Mon cher ami, soiez sûr que je vous parle du fond du Coeur et ne doutez jamais du tendre et inviolable attachement que je vous ai voué pour ma vie.
Denis